Homme du siècle

À la veille du centième anniversaire de Claude Lévi-Strauss, Arte lui consacre une journée.

Jean-Claude Renard  • 20 novembre 2008 abonné·es

Il est l’un des rares écrivains à figurer de son vivant dans la prestigieuse collection sur papier bible. Il est d’abord un savant, le fondateur de l’anthropologie structurale. Tantôt il fait découvrir les peuples dits primitifs, sans histoire, c’est-à-dire sans écriture, tantôt il arrive, face à la diversité des ­cultures, à une condamnation du racisme, tantôt encore, en situant la place exacte de l’homme dans la nature, il se fait écologiste avant l’heure. Il est aussi l’auteur de Tristes Tropiques , récit de voyage, conçu à l’origine comme un roman. C’est déjà beaucoup pour un seul homme, et telle est la trajectoire de Claude Lévi-Strauss, lecteur de Conrad et Rousseau, amoureux de peinture et d’art, de Poussin aux masques indiens, féru de musique, de Rameau à Ravel, rêvant d’être compositeur, voire chef d’orchestre.

Claude Lévi-Strauss va fêter son centième anniversaire ce 28 novembre. Arte a choisi la veille pour lui rendre hommage avec une programmation spéciale, plusieurs documentaires. À commencer par celui réalisé en 1972 par Jean-José Marchand, dans lequel Lévi-Strauss revient sur ses années d’études en philosophie, son apprentissage en autodidacte de l’ethnologie au Brésil puis à New York, ses recherches sur l’inceste et les mythes. À suivre notamment par Réflexions ­faites , l’évocation de son influence par Bourdieu, Vernant, Le Goff, entre ­autres, dans un film de Philippe Collin tourné en 1990.
Point d’orgue de cette journée, le dernier film de Pierre-André Boutang (disparu en août), Claude Lévi-Strauss par lui-même . S’ouvrant sur la condamnation de la société de consommation, le film de Boutang retrace l’itinéraire intellectuel d’un homme qui se dit « ethnologue par raccroc, improvisé » , engagé dans « une carrière philosophique noble mais casanière » , tenté « par l’aventure et le spectacle du monde ».
Un parcours chronologique et thématique qui va des Cévennes aux rives de ­l’Amazone, d’une partition d’orchestre à la structure des mythes, de la Grèce antique à l’amitié de Breton. Une constance dans cette existence, un pessimisme « qui offre à l’optimisme sa meilleure chance. C’est à la condition d’être pessimistes que nous prendrons conscience des dangers qui nous menacent, que nous aurons le courage d’adopter les solutions nécessaires, que nous pourrons alors recommencer à avoir une certaine dose d’optimisme mesuré ».
Producteur et réalisateur exigeant (ici, Althusser, Deleuze ; là, Vidal-Naquet, Sartre), Pierre-André Boutang, épaulé par Annie Chevallay, a puisé dans une série d’entretiens accordés par Lévi-Strauss à la télévision entre 1960 et la fin des années 1980 (dont « l’Invité du dimanche » par Éliane Victor, « le Fonds et la Forme » de Charles Chaboud), des photographies des collections Varian Fry et Roger-Viollet, et entrecoupé son film de commentaires de Frédéric Keck et Vincent Debaene, les rédacteurs de la Pléiade. La matière suffisante à un portrait lumineux, polyphonique, engagé, au diapason d’une œuvre fondamentalement politique.

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