L’autre « plan emploi »

Les syndicats et les associations réagissent au plan emploi annoncé par Nicolas Sarkozy à Rethel le 28 octobre, et présentent cinq propositions alternatives.

Jean-Baptiste Quiot  • 6 novembre 2008 abonné·es

Le ministère de l’Économie a bien été forcé de l’admettre, 8 000 nouveaux chômeurs ont été enregistrés par l’ANPE. Avec les 41 300 demandeurs d’emploi supplémentaires du mois d’août, la tendance à la baisse observée depuis 2005 s’est évanouie. La crise financière est passée par là et fait déjà sentir ses effets. Elle a obligé Nicolas Sarkozy à présenter son plan emploi la semaine dernière à Rethel. Un ensemble de mesures qu’il décrit comme « la troisième étape du plan d’action global » mis en œuvre pour répondre à la crise.
Ahurissantes, les deux premières étapes ont consisté à rassembler 360 milliards d’euros pour garantir le refinancement des banques, dont 40 milliards en fonds propres. « Le plan […] est fait pour les PME, est fait pour les salariés, est fait pour la croissance et est fait pour l’emploi. Il n’est pas pour les banques » , a martelé le chef de l’État. Mais la troisième étape, en faveur de l’emploi, est sans commune mesure avec les deux premières. Ne serait-ce que du point de vue des moyens. Qu’en pensent les partenaires sociaux et les associations ? Dans le camp des satisfaits, la présidente du Medef, Laurence Parisot, a salué « la volonté du président de la République de lever les tabous » . Surprenant de la part de celle qui ne jure d’habitude que par la négociation sociale. En effet, ni les syndicats ni les associations de chômeurs n’ont été consultés, alors qu’ils ont des propositions pour l’emploi à présenter à l’Élysée et au gouvernement.

Illustration - L’autre « plan emploi »


Le Président préfère la poursuite des réformes aux mesures d’urgence sociale.
Cercles/AFP

• Créer des indicateurs de la précarité

L’une de ces propositions consiste à mettre en place une réelle estimation du chômage et de la précarité. Il est parfois plus facile d’agir sur les chiffres que sur la réalité du chômage. « Le baromètre mensuel “officiel” représente moins de la moitié des inscrits à l’ANPE » , explique le collectif Les Autres Chiffres du chômage (ACDC). De plus, « l’offre raisonnable d’emploi a déjà permis de radier un grand nombre de personnes des listes de l’ANPE, explique Jean-François Kiefer, du Comité national de la CGT des chômeurs et précaires. Pour baisser les chiffres, le gouvernement augmente la précarité. Avec la crise, on estime qu’au moins 200 000 salariés rejoindront les rangs des chômeurs l’an prochain ». Pour Philippe Villechalane, porte-parole de l’Association pour l’emploi, l’information et la solidarité des chômeurs et travailleurs précaires (Apeis), « il faut mesurer l’augmentation des travailleurs précaires et les radiés de l’ANPE » . Issue de la fusion ANPE-Unedic, la mise en œuvre du Pôle emploi que Nicolas Sarkozy veut « accélérer » en 2009 est pointée du doigt : « Cette fusion consiste à placer le service public de l’ANPE sous la coupe de l’Unedic, qui est l’organisme payeur et contrôleur, poursuit Philippe Villechalane. C’est n’est pas le chômeur qui est au centre, mais l’objectif de faire des économies et d’agir sur les chiffres. »

• Stopper les suppressions d’emplois publics

Évelyne Perrin, d’Agir ensemble contre le chômage (AC !), propose « une politique de l’emploi conséquente qui suppose en premier lieu d’arrêter de supprimer des emplois dans les services publics » . Le plan emploi de Nicolas Sarkozy n’envisage pas de remettre en cause cette tendance à la réduction massive des emplois publics, mais propose la création des 300 000 contrats aidés en 2009. Une idée reprise à Lionel Jospin qui laisse Philippe Villechalane sceptique : « À l’Apeis, on avait 4 permanents emplois-jeunes, qu’on nous a supprimés l’an dernier. Maintenant, le gouvernement veut y revenir. Il faudrait savoir. Mais, franchement, comparé aux milliards d’euros pour aider les banques, c’est dérisoire. » « Malgré cette attitude sociale du président, il n’y a pas de contradictions dans sa politique, explique Jean-François Yon, du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP). On assiste en fait à une amplification de la politique mise en œuvre depuis deux ans, qui consiste à favoriser le travail précaire. » « Pour celui qui est au chômage, ce qui compte, c’est la durée passée sans emploi » , argue Nicolas Sarkozy. « C’est étrange de basculer de la “durée de l’emploi” à “la durée du chômage”. Il me semble que c’est la durée passée avec emploi qui est la plus importante, remarque Sylvette Uzan-Chomat, du SNU-ANPE. *C’est révélateur : on veut obliger les chômeurs à accepter n’importe quel emploi et donc des emplois précaires. »
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• Réduire le temps de travail

Allonger la durée du temps de travail ou la réduire ? Pour le gouvernement, travailler le dimanche pourrait faire partie du plan emploi. Évelyne Perrin estime que c’est « une absurdité. On a déjà vu que la libéralisation des heures supplémentaires a un très mauvais impact sur l’emploi. Ces mesures ne font qu’augmenter le chômage » . Mais comment le faire baisser alors ? « Avec une meilleure répartition des richesses et du temps de travail. Passer à 32 heures par semaine pourrait permettre de créer un grand nombre d’emplois », poursuit Évelyne Perrin, qui reprend à son compte des propositions syndicales anciennes. « Chez Renault et Peugeot, les dirigeants mettent les salariés en vacances forcées et, après, ils se plaignent des 35 heures » , surenchérit Philippe Villechalane.

• Assurer la continuité des droits sociaux

« Il y a des mesures d’urgence à prendre. Il faut relever les minima sociaux avec au moins, comme seuil minimal, le seuil de pauvreté. On pourrait aussi mettre en place un revenu d’autonomie et créer un statut “de vie sociale et professionnelle” qui assure la continuité des droits sociaux » , propose Jean-François Yon. Pour les syndicats et les associations, l’extension du contrat de transition professionnelle (CTP) aux bassins d’emploi qui seront les plus touchés par les difficultés économiques est insuffisant. Ce contrat est déjà expérimenté sur sept sites et « assure 80 % du Smic pendant un an aux licenciés économiques des entreprises de moins de 1 000 salariés , précise Évelyne Perrin. Cependant, le licenciement économique n’a pas une grande part dans l’augmentation du chômage. Celui-ci est surtout la conséquence des fins de CDD et des contrats d’intérim. Ce que l’on souhaiterait, c’est l’extension du CTP à toutes les catégories de travailleurs et particulièrement aux jeunes de moins de 25 ans qui n’ont aucun filet social. »

• Moduler les cotisations patronales

Mais comment financer les mesures d’urgence pour aider les chômeurs ? « Il faut revoir la répartition des cotisations salariales et patronales, et les moduler en pénalisant les patrons qui se servent du chômage comme variable d’ajustement, propose Philippe Villechalane. Ceux qui licencient ou qui ont recours au travail précaire, aux CDD et à l’intérim doivent cotiser davantage. » « Nous sommes en pleine période de négociations de l’assurance chômage. Le Medef a affiché ses deux priorités : pour la baisse des cotisations et contre la modulation des cotisations, relate Jean-François Kiefer. Pourtant, taxer les entreprises en fonction des types de contrat, cela permettrait de lutter contre tous ces petits contrats qui ramènent les gens à l’ANPE et qui sont financés par nos impôts. » Cependant, ce n’est pas la voie choisie par le gouvernement, qui a décidé d’exonérer les entreprises de la taxe professionnelle sur les investissements, jusqu’à 2010. Et la sécurité sociale professionnelle promise par Nicolas Sarkozy ne fait pas illusion. « Elle est pensée pour permettre la flexsécurité » , affirme Évelyne Perrin. « Même s’il reprend une de nos propositions, explique Jean-François Kiefer, il faut que ce soient les employeurs qui prennent en charge le coût de cette mesure. Si c’est par le biais de nos impôts, ça change tout. »
Logique d’urgence sociale contre logique de réformes libérales : l’Élysée et le gouvernement ont pour l’instant opté pour la poursuite des réformes. Avec le risque de provoquer l’accroissement des inégalités, comme semblent le montrer les propositions alternatives.

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