« Nous voulons être une force gouvernementale et unitaire »

Jean-Luc Mélenchon s’explique sur la création
du Parti de gauche et sur les objectifs de cette nouvelle formation ouverte à l’écologie. Et plaide pour un front politique de gauche aux européennes. Retrouvez des extraits vidéo de cet entretien en accès libre dans notre rubrique **Exclu Web.** .

Denis Sieffert  et  Michel Soudais  • 27 novembre 2008 abonné·es

Pourquoi n’avez-vous pas attendu la fin du congrès du PS pour partir ?

Jean-Luc Mélenchon : Parce que, pour nous, la signification politique du congrès est dans le vote du 6 novembre sur les motions. Nous ne voulions pas être aspirés dans les intrigues que ce vote mettait aussitôt à l’ordre du jour. Il fallait que notre décision soit identifiable et lisible sur un plan purement politique.
La spécificité du parti socialiste français dans la social-démocratie internationale s’est interrompue le jour où la décision a été prise de voter « oui » au référendum sur la Constitution européenne, parce que l’acceptation du cadre de la Constitution européenne, puis du traité de Lisbonne, vaut acceptation des politiques économiques, des systèmes d’alliances et de la forme de parti qui vont avec. Le congrès de Reims, avec le vote de 80 % des militants sur les motions issues de l’ancienne majorité, est le moment qui matérialise cette mutation. Cet alignement est devenu la culture commune des adhérents du PS. C’est pourquoi Ségolène Royal peut assez tranquillement dire qu’elle est prête à faire un vote des militants du parti sur la question des alliances. Elle sait bien que ceux qui seront encore adhérents du PS à ce moment-là trouveront cohérent de s’allier avec François Bayrou. Et c’est par un artifice de langage et un mépris absolu des textes que l’on peut qualifier le texte de Martine Aubry de motion de gauche.
J’entends qu’on me reproche une « décision préparée d’avance ». Évidemment qu’elle était politiquement mûrie. Il n’y avait qu’à lire mon livre, En quête de ­gauche (Balland), publié l’an dernier, où je décrivais dans le détail la conversion de la social-démocratie à ce que j’ai appelé « la ligne démocrate » : il était écrit en toutes ­lettres que, si le PS prenait la pente d’un parti démocrate, il faudrait rompre avec lui. Et le texte adopté par PRS [Pour la République sociale] fin juin 2007, « La gauche d’après », se terminait par cela. Donc, l’hypothèse était ouverte que le parti français connaisse ­l’évolution du reste des partis sociaux-démocrates européens. Le congrès aurait pu inverser cette tendance. On pouvait imaginer que, la crise du capitalisme ­s’étant déchaînée, il y aurait un sursaut dans le mouvement socialiste. C’est en constatant que ce n’était pas le cas que le raisonnement que j’ai présenté dans le livre s’est imposé.

Illustration - « Nous voulons être une force gouvernementale et unitaire »

« Les idées sur la décroissance obligent à réfléchir. »
Photo/X. Frison

Vous créez aussitôt le Parti de gauche (PG). Pourquoi ?

Parce que l’action politique, à mes yeux et à ceux de Marc Dolez, s’inscrit dans un cadre collectif et un cadre d’action partidaire. Ce ne peut être simplement une association, un réseau, une pétition, ­toutes formes qui ont leur respectabilité et leur utilité. La forme pour la conquête du pouvoir, c’est le parti. Un parti qui met au point un programme, propose des candidats, organise des campagnes. C’est important parce que l’identité de notre courant politique est intimement liée au seul souverain que nous reconnaissons : le suffrage universel.
Moi, je crois à la révolution par les élections.

Et par les alliances, non ?

Je vais y venir. En même temps qu’on crée ce parti, nous avons en vue un front de gauche. Pas un front qui viserait la formation d’un nouveau dogme ou d’une explication globale du monde. Mais un front qui a un objectif politique concret lié aux prochaines élections européennes. Cela nous différencie d’autres courants politiques qui ont scissionné du mouvement socialiste. Alors que le MRC [Mouvement républicain et citoyen] avait pour objectif d’être le recours face au PS et au système – ce qu’il appelait l’UMPS –, le Parti de gauche propose de faire un front. Et lui-même veut être un creuset. Très concrète, notre démarche est surtout inclusive.

Une démarche qui consiste à inclure, mais pas à être inclu…

Mais si ! Le Parti de gauche peut s’inclure dans un ensemble plus vaste. Pourquoi en est-on venu à l’idée du front ? Au lendemain du vote de 2005, la discussion sur l’unification des forces du « non » de gauche a donné lieu à beaucoup de malentendus liés à l’évocation de Die Linke. Celui-ci a fusionné deux partis et une fraction : l’Alternative pour le travail et la justice, le Parti communiste rénové, et la petite fraction d’Oskar Lafontaine. Au début, il s’agissait d’un front, et ils ont été obligés de fusionner, en partie pour respecter la loi électorale. C’est la victoire qui les a ensuite collés ensemble. Et Lafontaine m’a dit : « Le meilleur liant que tu aies, c’est le succès. » On sait donc ce qu’il nous reste à faire. Mais tout commence par un front respectueux de ­l’identité de chacun.

Est-ce uniquement pour ce que Die Linke représente que vous avez invité Oskar Lafontaine à votre meeting de lancement ?

De par notre origine socialiste, nous nous situons dans la logique qui l’a conduit à quitter le SPD. Il est aussi parfaitement francophone, on se comprend donc mieux. Surtout, ce n’est pas rien, dans la période, de voir Français et Allemands main dans la main. Nous sommes un parti pacifique et, de cette manière, nous nous mettons à distance de l’atlantisme effréné du PS. Et puis, évidemment, c’est le signe que se constitue une internationale des partis de gauche puisqu’il existe un parti de même nature en Hollande, en Grèce…
Petit à petit, un peu partout en Europe, on commence à avoir des partis sur le modèle Die Linke. La propagation est considé­rable : un parti est en train de se former sur cette logique en Israël, me dit-on, et la même chose est en train de se produire au Chili. Il n’y a pas une exception Mélenchon-Dolez. Nous confirmons un processus mondial.

Comment lever les malentendus ?

Dans la préparation de mon livre et les discussions qui ont suivi sa sortie, notamment avec Patrice Cohen-Séat et d’autres dirigeants communistes, j’ai compris que le plus gros blocage venait du fait que beaucoup de communistes n’acceptaient pas le débat sur une nouvelle force politique parce qu’ils la vivaient comme l’anéantissement de la leur. Cette disparition nous poserait aussi un problème. Par conséquent, ce que nous allons emprunter à Die Linke et aux Allemands, c’est la méthode : former un front et voir ensuite ce qui est possible, au lieu de proclamer la nécessité d’une convergence politique, idéologique et organisationnelle totale avant de se mettre au travail.
C’est une méthode adaptée à ce que nous vivons, parce que, dans l’intervalle, le NPA s’est aussi imposé dans le paysage médiatico-politique, et l’on comprend parfaitement que ceux qui créent le NPA n’ont pas du tout l’intention de cesser leur activité au prétexte qu’un secteur se détache du PS, comme cela se produit partout ailleurs dans la social-démocratie. La méthode du front de gauche est celle qui nous permet de dialoguer avec le NPA.

Comment comptez-vous procéder ?

On fait le tour des forces politiques constituées susceptibles de s’accorder sur un programme et de présenter des candidats. Nous avons rencontré le PCF, contacté le NPA. Restent les Alternatifs et le MDC, et deux cas particuliers, Lutte ouvrière et le POI [lambertistes, NDLR], qui n’ont pas participé à la campagne unitaire du « non ». Le Parti de gauche rencontrera et respectera tout le monde. Voilà pour la méthode.

La Coordination nationale des collectifs antilibéraux fait-elle partie des forces organisées ?

S’ils sont demandeurs, nous les rencontrerons. S’agissant du PCF, les choses ont été facilitées par le fait que nous dialoguons de manière ininterrompue depuis 2005 avec les dirigeants communistes. Ces derniers ont aussi compris qu’une des manières de participer à la structuration de cet espace politique était qu’eux-mêmes fassent un pas. Ils l’ont fait, le 24 octobre, dans leur conseil national, en se prononçant pour un front ouvert non plus seulement aux autres forces européennes et à des personnalités qu’ils invitaient mais aussi à des « organisations ». Peu de commentateurs ont noté l’apparition de ce terme. À ce moment, nous étions encore ­membres du PS, mais nous comprenions que les communistes répondraient à une des interpellations du livre, réitérée publiquement à plusieurs reprises, où je leur disais : « La balle est dans votre camp, c’est à vous de dire que vous êtes disponibles. » Au moment où nous sommes, Marc Dolez et moi, en train de prendre notre décision, le texte des communistes pèse très lourd dans l’évaluation de la situation que nous faisons. Le signal que nous ont donné les communistes est, pour moi, décisif : il signifie que l’on peut, à temps, faire ce qu’Oskar Lafontaine a dû faire dans une certaine confusion. Car, dès que Die Linke s’est constitué, Schröder, qui a bien compris ce qui allait lui arriver, a provoqué des élections anticipées.

Ne vous enfermez-vous pas dans un tête-à-tête avec la direction du PCF ?

Quand on est une organisation politique, on respecte ses partenaires. Le Parti de gauche discute avec le PCF en tant qu’organisation. Donc, nécessairement, nous discutons avec ceux qui représentent ce parti. Ce qui compte, ce n’est pas le tête-à-tête, mais ce que le tête-à-tête propose. Est-ce que nous ne voulons pas des autres ? C’est l’inverse. Et ce n’est pas seulement le Parti de gauche qui le dit, le PCF le dit aussi. Nous ne sommes fermés à personne.

Pas même au NPA ?

Nous avons sollicité une rencontre ; nous verrons quelle sera la réponse. On ne va pas se parler par journalistes interposés. Il n’y a rien dans le discours d’Olivier Besancenot qui empêche la discussion. J’entends qu’on m’objecte l’indépendance par rapport au PS. Que peut-on faire de mieux pour prouver notre indépendance que de le quitter ? J’ajoute que nous ne siégerons pas au groupe PSE mais dans le groupe de la GUE, où ont déjà siégé les députés européens de la LCR ; nous ne cogérerons pas le Parlement avec la démocratie chrétienne comme le fait le PSE ; évidemment, nous allons faire campagne contre l’élection de députés du PSE parce que nous voulons faire un vote de gauche : quiconque élit un député lié au Manifeste du PSE élit quelqu’un qui a signé un texte avec des partis qui gouvernent avec la droite. Voilà quatre raisons qui correspondent à des exigences maximales par rapport à l’indépendance vis-à-vis du PS que réclame Olivier Besancenot. Et nous ne proposons pas une fusion au NPA, mais un front aux européennes.

Quelle est l’ambition de ce front ?

Cette élection est la dernière élection politique globale avant la présidentielle de 2012. Si on veut changer les conditions politiques dans lesquelles on va préparer cette dernière, il n’y a pas d’autre moment pour le faire. Si l’ensemble de l’arc de ­forces qui a fait campagne pour le « non » se rassemble, il peut renverser la table. C’est-à-dire passer en tête de toutes les listes. C’est tout à fait possible. Après, chacun trouve la liberté de faire valoir aux millions ­d’électeurs de ce front qu’il est le mieux placé pour en être l’expression politique à la présidentielle.

L’Appel de Politis propose de rassembler les gens dans un front de façon à ce que chacun, sur un pied d’égalité, puisse réfléchir à la forme politique. Là, on a l’impression que c’est un peu « qui m’aime me suive »…

Les démarches ne sont pas de même nature. Je ne mets pas celle de l’Appel de Politis sur le même plan que l’accord de deux organisations politiques. Il faut reconnaître aux partis politiques le droit de faire des propositions. Sinon, prétendre que, quoi que l’on fasse, ce ne sera jamais assez ouvert finit par être totalement autobloquant.

Quel est le périmètre du Parti de gauche ?

C’est d’abord un parti « de gauche », précision qui a son importance quand des gens prétendent n’être ni de droite ni de gauche mais « du côté de la réforme » , ou construire des espaces intercalaires entre les républicains des deux rives. Cela signifie que nous sommes pour la souveraineté du peuple partout, pour le partage et l’égalité, cette valeur centrale de l’identité traditionnelle de la gauche autour de laquelle se construit l’articulation liberté-fraternité.
C’est ensuite un parti républicain, donc pour la démocratie, attaché à l’existence d’un espace public commun libre des aliénations et des dominations qui peuvent s’exprimer dans la sphère privée, c’est-à-dire un espace laïc, un et indivisible, où la loi est décidée par tous pour qu’elle puisse s’appliquer à tous. C’est aussi une force gouvernementale : notre objectif est la transformation de la société par l’exercice du pouvoir démocratique, non d’être une force de témoignage. Enfin, c’est une force unitaire car nous ne croyons pas que la gauche puisse être gouvernementale sans se rassembler.

Pour quoi faire ?

Nous voulons pouvoir tourner la page du capitalisme pour deux raisons. D’abord, il est incapable de gérer le long terme. ­Fauteur de désordres, de guerres, de troubles, de misères sur le court terme, le capitalisme met à l’ordre du jour une catastrophe définitive pour l’humanité tout entière. Car, parmi toutes ses contradictions, le modèle de prédation et de domination qu’il a porté en son sein remet en cause l’écosystème lui-même. Or, nous sommes au seuil du moment où la possibilité existe encore de faire des choix qui permettent de stopper la catastrophe. C’est quand on traite du dérèglement climatique que ce fait est le plus évident. Évidemment, c’est une révolution culturelle pour la gauche. Mais cette question de la crise écologique est première dans l’ordre des nécessités de la subversion de la société capitaliste.

N’est-ce pas un aggiornamento pour le républicain social que vous êtes ?

C’est vrai que c’est une mutation. Chez moi, elle procède d’une réflexion sur les fondamentaux du républicanisme et le constat, que tout le monde peut faire, que l’intérêt général est d’abord un programme écologique.


Vous avez même dit que ce parti serait « contre le productivisme ». Vraiment ?

Je ne crois pas qu’on puisse changer la société sérieusement sans pratiquer une révolution culturelle sur le quotidien de cette société : qu’est-ce qu’on produit ? Comment on le produit ? Et pour quoi faire ? On ne peut pas avoir comme but une société où tout ira tellement mieux qu’on pourra avoir trois bagnoles par ménage et mettre un écran plat dans chaque pièce. Aucun processus de révolution ne peut venir à bout de la frustration permanente que fabrique la société capitaliste ; une paie même meilleure ne sera jamais suffisante. Il n’est donc pas possible de créer durablement une société démocratique et socialiste s’il n’y a pas une révolution des modes de production et d’échange, des objets qu’on produit – pour quoi faire et comment on les produit ?

Et comment on les consomme…

Bien sûr, ça va avec. Je reconnais avoir été percuté par les écrits que j’ai lus sur la décroissance. Je sais très bien quelles polémiques déclenchent les idées sur la décroissance, mais elles obligent à réfléchir.

Le Parti de gauche est donc un parti ouvert culturellement ?

Nous sommes même demandeurs. Et invitons les militants écologistes, s’ils ne sont pas bien là où ils sont, à venir nous aider à penser, à réfléchir, à formuler. À nous aider éventuellement à ne pas retomber dans nos routines initiales. Nous avons aussi besoin d’économistes qui nous aident à repenser un autre modèle, et de bien d’autres catégories… Le Parti de gauche doit être un objet qui provoque une ­subversion culturelle de ses propres ­membres. Pas seulement du projet de la société. Ceux qui y adhèrent doivent eux-mêmes profiter de cette occasion pour se remettre en question, faire le tri de leurs certitudes. Il n’est pas question de changer ce qui fait ce que nous sommes – la volonté de partager, d’être de gauche, de détester la société capitaliste –, mais notre façon de le formuler à l’aune de notre époque. Quel sera le modèle du parti ? Je ne sais pas. Je crois beaucoup à l’autonomie des ­membres d’une organisation. Il y aura sans doute plusieurs formes de militantisme en même temps : la section, le cercle, le réseau. Il faut que tout le monde trouve sa manière de se rendre utile à la bataille.

Ce ne sera donc pas un parti pyramidal ?

Pourquoi a-t-on fait des partis centralisés ? Il n’y avait pas moyen de faire autrement parce que la communication entre l’état-major central et l’ensemble des structures d’une organisation n’était possible que par le papier, le journal. Le centralisme, utile, est devenu pyramide écrasante. Maintenant, nous avons d’autres moyens de communication qui permettent un autre rapport à l’expression politique, à l’élaboration. Centre et périphérie deviennent des notions moins étanches. On peut être une organisation politique dans laquelle les réseaux jouent un très grand rôle. De la même manière, on peut avoir des gens qui sont prêts juste à donner un coup de main. Et d’autres qui sont disponibles pour un engagement plus intense. Enfin, je ne veux pas qu’on fasse un parti destiné aux « sachants » et aux « parlants », mais un parti où les gens qui ont leur bonne volonté à apporter puissent aussi donner et recevoir avec le Parti.

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