Un modèle en crise

La social-démocratie française n’est pas la seule à être exsangue. La référence suédoise est, elle aussi, mise à mal par l’actuel gouvernement.

Anne-Emmanuelle Kervella  • 20 novembre 2008 abonné·es

La Suède est connue pour ses crackers, ses meubles en kit et un modèle social que le monde entier lui envie. Pourtant, ce dernier est bien mis à mal. Aron Etzler, fondateur d’Attac-Suède en 2001, s’indigne des coups de boutoir qu’il subit : « Notre système repose sur des syndicats puissants. Portez atteinte à cette force, et vous démantelez ce fameux modèle social. Pendant la campagne législative de 2006, Fredrik Reinfelt, le candidat du Parti modéré, avait présenté la droite comme le nouveau parti des travailleurs : il promettait de sauvegarder le syndicalisme et ses acquis. » Mais une fois devenu Premier ministre, en octobre 2006, le même Fredrik Reinfelt a immédiatement décrété une série de mesures destinées à réaliser des économies budgétaires radicales dans ce domaine.
D’abord, il a déclaré que le royaume ne pouvait pas continuer à payer 90 % de leur dernier salaire aux chômeurs. 75 % seraient amplement suffisants, et à des conditions plus sourcilleuses. La moitié de ces cotisations étant payée par les travailleurs directement à leur syndicat, le gouvernement a fait augmenter cette part-là : de 10, 30 ou 40 euros par mois selon que la branche se porte plus ou moins bien. Du coup, beaucoup de Suédois se sont désyndiqués, en se disant ­qu’avec un taux de chômage officiellement à 4 % ils ne risquaient rien. Sauf qu’en août 2008 le chômage était remonté à 5,2 %, et que la crise actuelle n’annonce rien de bon.

Sous la précédente législature, sociale-démocrate, l’opposition de gauche dénonçait déjà l’exclusion des plus pauvres – chômeurs, retraités, handicapés, étudiants sans ressources… – de l’État de bien-être. La droite au pouvoir accentue ce mouvement. Selon le Premier ministre, si tous ces nécessiteux veulent rentrer dans le système social, « ils n’ont qu’à » trouver ou retrouver un boulot.
« La stratégie de Reinfelt est diabolique, poursuit Aron Etzler, parce qu’elle monte les salariés contre les organisations salariales. Nous étions traditionnellement syndiqués à 95 ou 98 % en Suède, en tête des pays scandinaves, nous en sommes maintenant à 80 %, encore devant les Norvégiens mais à égalité avec les Danois. Ce qui peut ­sembler formidable à des Français, mais est un mauvais signe pour nous. Et, comme partout, la population n’est pas suffisamment conscientisée politiquement pour analyser la tactique gouvernementale. »

Reste que les augmentations de salaires sont renégociées nationalement tous les deux ou trois ans, et que leur application est garantie. Si les patrons repoussaient ces négociations à l’expiration de la précédente convention, les syndicats seraient encore assez puissants pour déclencher des grèves massives.
Par ailleurs, le pouvoir en place a aussi décidé des économies sur les subventions accordées aux communes et aux régions. Cela menace la qualité du service public, notamment l’école et l’hôpital, deux secteurs dont les Suédois sont particulièrement fiers.
*« L’école dépend de la commune, et l’hôpital de la région,
explique Aron Etzler. Ces vingt-cinq dernières années, l’aide financière de l’État s’est dégradée tandis que le secteur privé s’enrichissait, car on diminuait les impôts des entreprises et des plus riches. Parallèlement, l’État décentralisait ses responsabilités. Les collectivités locales pauvres ne bénéficient pas beaucoup de ressources propres pour investir. Elles dépendent des subsides de l’État pour rétablir la balance avec leurs homologues huppées. »

La flexsécurité à la danoise était un slogan de campagne de Fredrick Reinfelt : une grande flexibilité du marché du travail – ce qui signifie des licenciements faciles pour les entreprises et un code du travail très allégé –, mais une sécurité pour les salariés à l’aide d’un système d’indemnisation généreux, du maintien du dialogue social entre patronat et syndicat, de politiques actives de l’emploi. Cependant, comme l’état de grâce de l’actuel gouvernement suédois a duré… neuf jours, ­estiment ses opposants, il n’a pas pu toucher au droit du travail, et on ne voit pas comment il pourrait le faire d’ici à la fin de son mandat : il est le plus impopulaire depuis 1972 en Suède.

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