Un sommet illégitime

Dominique Plihon  • 6 novembre 2008 abonné·es

Un sommet du G20 sur la crise financière va se réunir en grande pompe à Washington le 15 novembre. Il y a fort à parier que ce sommet voulu par Sarkozy, et concédé par Bush, sera d’abord un grand show dont ne sortiront pas de grandes décisions. Pourtant la crise actuelle appelle une réforme radicale du système monétaire international (SMI) dans ses trois grandes fonctions. La première est de réguler les liquidités monétaires internationales. Dans le système actuel, le dollar joue le rôle de monnaie internationale, ce qui donne un privilège exorbitant aux États-Unis et leur a permis de s’endetter jusqu’ici sans limites auprès du reste de la planète en émettant leur monnaie. D’où une création de liquidités en dollar excessive et incontrôlée. Il faut rompre avec cette logique perverse et créer une véritable monnaie internationale, au-dessus des monnaies nationales. C’est ce qu’avait proposé l’économiste britannique John Maynard Keynes, sans succès, lors des négociations qui avaient abouti aux accords de Bretton Woods en 1944.
La deuxième fonction du SMI est de réguler les taux de change entre les monnaies. Les accords de Bretton Woods avaient mis en place un régime de changes fixes, chaque pays signataire s’engageant à stabiliser la parité de sa monnaie contre les autres monnaies. La spéculation financière internationale, favorisée par l’abandon des contrôles de capitaux, a obligé les gouvernements à renoncer aux changes fixes au début des années 1970. D’où le flottement incontrôlé des parités qui n’a cessé de perturber l’économie mondiale. Là aussi, une rupture s’impose. Il est nécessaire de réinstaurer un ordre monétaire international fondé sur la stabilité des parités. Ce qui implique une véritable coopération monétaire, inexistante aujourd’hui, entre les gouvernements et les banques centrales.

La troisième grande fonction d’un SMI digne de ce nom est de maintenir les déséquilibres extérieurs des pays à un niveau raisonnable. Car des déficits extérieurs importants et durables sont dangereux dans la mesure où ils conduisent à l’endettement international, ce dont ont beaucoup souffert les pays du Sud. La situation actuelle est catastrophique : jamais les déséquilibres internationaux n’ont été aussi importants ! Et le plus scandaleux est que les déficits extérieurs et la dette internationale les plus élevés proviennent du pays le plus riche de la planète – les États-Unis –, émetteur de la monnaie internationale. La résolution de la crise financière internationale en cours passe en priorité par un ajustement de l’économie états-unienne conduisant à la réduction de ses déficits et de sa dette. En toute logique, il faudrait que soit appliqué aux États-Unis un « plan d’ajustement structurel », du type de ceux que le FMI n’hésite pas à imposer aux pays en développement !
Bien entendu, il est inconcevable que le Fonds monétaire international (FMI) actuel, contrôlé par les États-Unis qui ont un droit de veto, pratique une telle politique forcément douloureuse. On le voit, la sortie de la crise actuelle et la réforme du SMI sont d’abord des questions politiques, au premier rang desquelles la remise en cause de l’hégémonie monétaire des États-Unis.

De ce point de vue, le sommet du 15 novembre risque de conduire à un nouveau Consensus de Washington plutôt qu’à un nouveau Bretton Woods. Car il ne sera pas question de s’attaquer aux principes néolibéraux tels que la libre circulation des capitaux, le flottement des monnaies, l’indépendance des banques centrales. Or ce que nous appelons un nouveau Bretton Woods implique de rompre avec cette logique en réintroduisant les deux principes qui fondaient le premier système de Bretton Woods : le contrôle de capitaux et la stabilité des changes. Pour casser l’ordre néolibéral, il faut aussi une réforme radicale des banques centrales et des institutions financières internationales – FMI et Banque mondiale –, qui sont devenues les bras armés de la mondialisation néolibérale. Le premier principe à mettre en œuvre est de démocratiser ces institutions afin que tous les groupes de pays de la planète, pas uniquement les plus puissants, soient associés aux décisions.
Le meilleur moyen de parvenir à ce nouveau Bretton Woods est de convoquer, sous l’égide des Nations unies, une conférence internationale associant les gouvernements et les mouvements sociaux. Le mandat de cette conférence doit être de redéfinir les règles et les institutions qui permettront de retrouver la stabilité financière, de créer les mécanismes de financement des biens communs de l’humanité, de décider la suppression des paradis fiscaux et l’annulation de la dette des pays du Sud. Cette conférence internationale aurait une légitimité politique et démocratique qui fera défaut au sommet du G20 convoqué à Washington le 15 novembre par les principales puissances de la planète.

  • Membre du conseil scientifique d’Attac.
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