Une voix d’atmosphère

Rebecca Manzoni assure la direction de deux magazines culturels, « Eclectik » et « Metropolis ». Avec la même pertinence journalistique.

Jean-Claude Renard  • 6 novembre 2008 abonné·es

Acte I : samedi matin, 10 heures. « Eclectik », sur France Inter. Une petite bande de trublions bien renseignés s’agite au micro pour un rebond sur l’actualité de la semaine écoulée. Voilà qui échappe à la routine, diffuse du contenu, ne s’épargne pas de sens critique. Humeur heureuse. S’agit de dire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux (élégance suprême). Se bousculent au portillon, sans empoignade, Guillaume Erner, Thomas Chauvineau, Charles Dantzig, Antoine Ly. Ici, la « Revue de presse du pire », du reportage ; là, du commentaire. L’émission s’enfle d’emprunts, d’archives, de clins d’œil, de références, comme un livre se gonfle d’intertextualité.
En moins d’une heure, se succèdent la traque de la police dans une cour d’école, sœur Emmanuelle au paradis (fiscal), le discours politique passant de l’éloquence à la communication, le Luxembourg, terre des farces et attrapes de la transparence financière, la crise nourrissant l’escarcelle des psychiatres autour de la City, un vrai faux tableau de la déconfiture économique et politique projeté à la fin des années 2030. Se glissent dans le décor cocasse des extraits sonores de Dallas , inondant la décennie 1980, jugé par les organes officiels « pour tout public » , concentrant les torts et travers du monde actuel. Miroir, écho et ricochet. De l’inattendu piqué d’évidence. Simple, implacable. Fallait y songer (le plus dur étant de faire simple). Aux drilles s’ajoute une poignée de marioles (François Morel, Akram Belkaïd, Joëlle Meskens et Joy Sorman), intervenant à tour de rôle au fil des semaines, évitant ainsi de figer l’émission.
Rebecca Manzoni bat la mesure de ce méli-mélo taquinant la culture, les médias, la politique. Éclectique pur jus, en somme, marquant à la culotte la définition du Robert : « Qui n’a pas de goût exclusif, ne se limite pas à une catégorie d’objets. » Passons sur la voix suave, coquine sans coquetterie. Reste une orchestration gorgée de sens, trempée d’imagination, puisant dans le ballet récalcitrant des (petits et grands) événements. Plein fagot de verve. Qui se rehausse de fines ciselures, fraîches et fringantes. Avec un phrasé calibré milli, distribuant l’adjectif comme une gifle, claquant sur la dépêche, ponctuant grave ou ironique, courtisant un acidulé qui ne serait dupe de rien.

Acte II : samedi soir, 20 h 15. « Metropolis », sur Arte. Magazine culturel composé de sujets différents. Dans un même numéro se suivent Vincent Cassel, un décryptage de la photographie américaine à l’occasion des élections, Balthus, Carolyn Carlson. Autre numéro : Van Gogh, Salman Rushdie et la bossa-nova. Ou encore Jacques Demy, Henri Cartier-Bresson/Walter Evans, l’immigration vue par des artistes sénégalais. Soit un menu dégustation où s’équilibrent les genres. En voix off, une même voix, celle de Rebecca Manzoni, rédac chef du mag.

Acte III : dimanche matin, 10 heures. « Eclectik », second volet. Foin de l’intelligence collective de la veille. Juste un entretien, juste un tête-à-tête. Un autre exercice, donc, au creux d’une atmosphère en écrin où le discours est mené feutrement par Rebecca Manzoni s’effaçant derrière l’invité. La parole se livre ici telle qu’elle s’élabore. Point ­d’orgue de ce respect bâti sur l’écoute, une minute pleine abandonnée à l’invité, alors seul face au magnétophone. Silence radio ou pas (façon angoisse du gardien de but au moment du penalty). Sont passés notamment Denis Robert, Djilali Bencheikh, Samuel Bollendorff, Denis Hopper, Olivier Gourmet…

Épilogue, didascalies, notes : entre « Eclectik » et « Metropolis », deux genres différents, reliés par des passerelles. La fluidité d’une part, le contenu d’autre part, en croisant les sujets, du grand public par ci, du confidentiel par là. Manzoni écrit tous ses textes, assure les transitions. Les invités ­disent le parti pris affiché, les fruits d’un échange sur lequel insiste la journaliste. Florence Platarets et Muriel Meynard pour « Metropolis », toute ­l’équipe à l’antenne pour Eclectik.
D’une émission l’autre, c’est aussi affaire de parcours. IUT de journalisme à Bordeaux, entrée au Mouv’, chronique autour de la bande dessinée, rencontres notamment de Philippe Bertrand et de Frédéric Bonnaud. Depuis 2004, Rebecca Manzoni est productrice d’« Eclectik ». C’est-à-dire « la responsabilité éditoriale de la tranche qui vous est confiée, avec une présence à l’antenne » . En janvier 2007, elle succède à Pierre-André Boutang à la rédaction en chef de « Metropolis ». Héritage délicat. « En réalité, on ne lui succède pas, dit-elle, on fait autre chose. » Détail d’importance : « Metropolis » est produit par Agat films/Ex Nihilo, collectif de producteurs indépendants, dont Robert Guédiguian. Pas de hasard dans la qualité, quand tout se tient et se contient.

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