La privatisation pour seul horizon

La commission Ailleret sur le développement de La Poste a suivi la voie de la rentabilité financière pour exiger le changement de statut et l’ouverture du capital de cette entreprise publique.

Thierry Brun  • 18 décembre 2008 abonné·es

Voilà un rapport sur mesure pour préparer la privatisation de La Poste. Clos le 11 décembre, les travaux de la commission voulue par Nicolas Sarkozy et pilotée par François Ailleret, ancien dirigeant d’EDF, ont livré un verdict qui s’aligne sur la volonté du Président et celle des dirigeants de La Poste de créer un opérateur postal privé. Reste la remise officielle du rapport au gouvernement avant que celui-ci ne décide du sort du service public d’ici à la fin de l’année.
Transmis dès le 9 décembre aux membres de la commission chargée d’étudier ­l’avenir de La Poste, le rapport a provoqué quelques remous. Les syndicats ont claqué la porte au motif que « la commission Ailleret, créée pour répondre à la mobilisation contre la privatisation de La Poste, pour un débat et un référendum, a été largement instrumentalisée par l’État » , souligne un communiqué de la CFTC, FO-COM et SUD-PTT. Autre raison invoquée : le texte comporte nombre d’affirmations orientées vers des exigences de rentabilité financière, dans la seule perspective d’un changement de statut et de l’ouverture de capital de l’entreprise publique.
Contrairement à ce qu’affirme François Ailleret, « les débats n’ont pas été sereins au sein de la commission, sous la pression constante d’une campagne de promotion du projet de privatisation de La Poste par ses dirigeants ». Aucun des sujets du dossier n’a été mis aux voix, affirment les syndicats. Le président de la commission, qui a organisé 16 réunions entre le 26 septembre et le 11 décembre, a pourtant estimé, dans une belle langue de bois, que « le travail s’est déroulé dans une ambiance sereine et constructive » et que « les débats ont été libres et ouverts » . Sans autre commentaire, François Ailleret conclut que « la majorité des membres de la commission [se sont prononcés] *pour une transformation du statut de l’entreprise en société anonyme ».
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Illustration - La privatisation pour seul horizon


Selon les syndicats, la commission ne défend que des objectifs de croissance.
Daniau/AFP

Pour couper l’herbe sous le pied aux opposants au changement de statut de l’entreprise publique, la commission assure que La Poste sera « détenue à sa création à 100 % par des investisseurs publics (État, FSI ou Caisse des dépôts et consignations) » . Et affirme : « En toute hypothèse, la privatisation est exclue, et des garanties d’ordre législatif devraient être apportées sur le caractère public de l’entreprise » . Cet argument, avec celui de la dette de l’entreprise (sans aucune explication sur son origine), est loin de convaincre puisque, dans le passé, les mêmes avaient prévalu pour aboutir à la privatisation de France Télécom, de GDF et d’EDF.
La commission Ailleret admet que « l’hypothèse d’un appel à des investisseurs privés n’est ni souhaitable ni crédible » en période de crise financière et économique… pour se contredire quelques pages plus loin. La création d’une société anonyme présenterait « plusieurs avantages stratégiques, notamment dans la perspective de l’ouverture du marché [européen] du courrier en 2011 ». Ce changement de statut s’impose parce que l’établissement public « n’a pas d’actionnariat, et les investisseurs qui lui apporteraient des fonds propres n’auraient droit ni au versement d’un dividende, ni à une représentation au conseil d’administration » . Et le texte indique que La Poste pourra, le moment venu, *« solliciter ultérieurement d’autres investisseurs que l’État pour mener à bien ses projets ».
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« La satisfaction des besoins des usagers de La Poste ne fait pas partie des objectifs du projet retenu, orienté sur la vision d’un “business” postal basé sur la productivité au détriment de la solidarité et de l’égalité de traitement de la population » , estiment la CFTC, FO-COM et SUD-PTT. La commission ne défend que les objectifs de « croissance » , de « confortement d’une dimension européenne sur les créneaux pertinents » et de « recherche constante de la compétitivité » . En guise d’argument, le rapport explique que la « réduction du handicap concurrentiel qui affectait La Poste lui a permis de multiplier sa rentabilité par dix en cinq ans ».
Pourtant, « le développement des opérateurs postaux ne passe pas obligatoirement par des opérations de fusions et d’acquisitions à l’international, estiment la CFTC, FO-COM et SUD-PTT dans leurs propositions pour le financement du service public postal. L’actualité récente démontre même plutôt le contraire. Le président de La Poste allemande vient d’ailleurs d’annoncer un recentrage de son activité sur le territoire national ». Dans un mémorandum de 27 pages présenté à la commission Ailleret, la CGT rappelle notamment le bilan « désastreux » du processus de libéralisation dans le cadre du grand marché européen amorcé en 1997 et 2002. « L’ouverture à la concurrence et les privatisations ont en effet conduit les opérateurs postaux à orienter leurs choix d’investissement et de tarification en fonction des objectifs de rentabilité financière et de conquête de parts de marché au détriment des missions de service public » , rappelle-t-elle en citant l’échec de l’ouverture à la concurrence en Suède et au Royaume-Uni.
Le rapport Ailleret garantit les missions de service public « et de service universel dans toutes leurs dimensions » , obligatoires dans une loi de 2005, mais sans préciser leur financement. Celui-ci, « déjà fortement supporté par les collectivités locales et donc les contribuables, ne serait plus assuré, comme en témoigne le contrat de service public pour 2008-2012 signé récemment entre La Poste et l’État » , rappelle la CGT. Les organisations syndicales se rencontreront vendredi 19 décembre pour « examiner les conditions de la poursuite » du mouvement social, à l’occasion de la tenue d’une commission d’échanges stratégiques sur la situation de La Poste. Le rapport Ailleret confirme en tout cas que le sort de celle-ci est scellé. Reste à faire avaler la pilule aux usagers, élus et syndicats.

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