Le cri d’une génération

La révolte de la jeunesse grecque est loin d’être seulement l’affaire de mouvements anarchistes. Toute une classe d’âge est concernée. Reportage.

Ariane Puccini  et  Stéphane Puccini  • 18 décembre 2008 abonné·es

Vitrine de grandes enseignes brisées, banques vandalisées, rixes quotidiennes entre jeunes émeutiers et forces de l’ordre, mises à sac de commissariats, à Athènes et dans le reste de la Grèce. Le pays n’avait pas connu un tel chaos depuis la révolution de 1974 et la chute de la dictature des colonels. Le détonateur : la mort d’Alexis Grigoropoulos, 15 ans, sous le feu d’un policier le 6 décembre dernier.
Aux avant-postes de la fronde, de jeunes anarchistes et des mouvements d’extrême gauche. Mais aussi des novices qui lancent leurs premiers projectiles contre la brigade anti-émeute grecque. Constantin, 18 ans, fait partie de ceux-là. Étudiant en droit, sympathisant d’extrême gauche mais affilié à aucun mouvement politique, il en découd presque chaque soir avec la police dans les avenues du centre-ville ou à proximité de l’Université polytechnique d’Athènes, occupée par des étudiants anarchistes. « Il y a une colère accumulée depuis tant de temps, lâche-t-il. Les manifestations pacifistes n’ont jusqu’ici rien donné. Ces émeutes ont un sens politique. Détruire une banque a un sens politique également, c’est s’en prendre à ceux qui se font de l’argent sur notre dos. »
L’action des casseurs trouve même grâce aux yeux de certains manifestants, qui restent à distance des échauffourées dans les cortèges. « Je n’approuve pas les actes de vandalisme commis ces derniers jours, explique Néphélie, 20 ans, venue assister à un rassemblement pacifiste de lycéens et d’étudiants devant le Parlement. Mais ici, si on veut se faire entendre, on n’a pas le choix, malheureusement. »

Illustration - Le cri d’une génération

La « génération 700 euros » crie son ras-le-bol. Laban-Mattei/AFP

Très rapidement, le mouvement devient l’expression d’un ras-le-bol de la « génération 700 euros ». Cette somme est le salaire moyen que peut espérer gagner un jeune de 20 à 30 ans pour un premier emploi à temps plein. Une classe d’âge qui semble ne pas avoir goûté à une croissance économique que beaucoup de pays européens envieraient (3,9 % en 2007). En effet, le chômage chez les jeunes de 15 à 24 ans atteint 22,9 %, le taux le plus élevé dans l’Union européenne. Pour eux, peu de chances de quitter le nid familial avant 30 ans, à moins de cumuler deux, voire trois emplois à temps plein. « Comment voulez-vous faire avec un salaire de 700 euros et payer un loyer de 300 euros pour un petit studio dans les quartiers populaires d’Athènes ? », s’interroge Metexia, 33 ans, avocate, qui a quitté le foyer parental il y a seulement deux ans.
Dans le flot des manifestations quotidiennes à travers le pays, les revendications fusent : une meilleure couverture sociale, l’accès à la création de richesses et, surtout, un meilleur système éducatif. En effet, le budget consacré par l’État grec à l’éducation est en dessous de la moyenne européenne, selon le Fonds social européen. « Si je veux avoir mon bac, les cours dispensés au lycée ne suffisent pas » , assure Alexandra, 17 ans, inscrite dans une école privée allemande à Athènes. La lycéenne reçoit ainsi des cours particuliers de grec ancien, d’histoire, de littérature, d’anglais et d’allemand. « Je ne suis pas la seule, tout le monde fait ça. » Et d’ajouter, résignée : « Partir à l’étranger pour y trouver un emploi ? Je ne le veux pas, mais il le faudra bien. »
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*« C’est un malaise social qui ne concerne pas les classes populaires mais les classes moyennes,
estime Panayis Panagiotopoulos, sociologue à l’Université d’Athènes. Ces jeunes manifestent une angoisse de perdition sociale. » Une angoisse comprise par le reste de la population : professeurs, commerçants vandalisés et parents. « Pour la première fois, les parents vont voir leurs enfants gagner moins qu’eux. L’économie ne parvient pas à assurer la mobilité sociale » , poursuit le sociologue.
À l’heure de la crise, la peur du déclassement social touche donc en priorité les classes moyennes. Pour les manifestants, le départ de Costas Caramanlis, à la tête du gouvernement réélu en 2007, devient urgent. « Nous avons connu trop de scandales politiques ces derniers mois… Ça devait péter, je m’y attendais, affirme Alex, la trentaine. Caramanlis doit s’en aller. »
Démission ou élections anticipées, le Premier ministre a exclu ces deux hypothèses vendredi. Un malaise social qui fait aussi écho à un malaise politique au sein de la société grecque. « Cela fait au moins vingt ans que les gens en ont marre de la politique. Aujourd’hui, le gouvernement est devenu illégitime » , constate Panayis Panagiotopoulos.
« Optimiste ? Je me dois de l’être, souffle Kyriaki, étudiante en sociologie, venue manifester pacifiquement devant le Parlement à Athènes. Mais, si j’étais réaliste, je dirais que rien ne va changer. Après tout, nos problèmes sont ceux de toute une génération européenne. »

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