« L’école est en danger »

Depuis le lundi 8 décembre, des parents d’élèves occupent l’école Bretonneau dans le XXe arrondissement. Ils protestent contre les réformes de Xavier Darcos et s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. Reportage.

Manon Loubet  • 18 décembre 2008 abonné·es
« L’école est en danger »

Sur les murs de la rue Bretonneau, dans le XXe arrondissement, de gigantesques banderoles scandent les slogans « École occupée », « De la maternelle à la fac, l’école est en danger ». Deux tableaux sont accrochés au mur : un pour les actualités du mouvement et un autre pour organiser les relais des parents d’élèves qui occupent l’école élémentaire Bretonneau. « Nous avons décidé d’occuper l’établissement le lundi 8 décembre. Cette occupation a été décrétée à la suite d’une réunion organisée par les enseignants quelques jours avant » , précise Sandrine Balleux, parent d’élève et vice-présidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) de l’école. Tous les jours, de 8 h à 18 h, une trentaine de parents viennent à tour de rôle, par petits groupes de quatre ou cinq, dans le bureau de la directrice. « Nous n’empêchons pas les cours. Nous faisons une occupation administrative, c’est-à-dire que nous utilisons le téléphone de l’école, l’adresse mail et le fax » , explique Jean-Pierre Gryson, un père d’une quarantaine d’années.

Illustration - « L’école est en danger »


Des parents d’élèves se relaient pour occuper l’école Bretonneau, à Paris.
Manon Loubet

Sur le parvis de l’école, en plein milieu ­d’après-midi, quelques parents mobilisés parce qu’ils sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants s’activent. Il fait froid et ils sont tous équipés de gants et de bonnets. ­Certains accrochent sur la porte et sur les murs des banderoles, des tracts ou des coupures de journaux. D’autres discutent entre eux. L’occupation est symbolique et pacifique. Pourtant, dès le premier jour, l’inspecteur d’académie est venu rencontrer les parents pour faire le point sur leurs revendications et leurs actions. Le lendemain, les parents d’élèves ont reçu une lettre menaçant de les évacuer s’ils refusaient de quitter l’école. « C’était de l’intimidation. Mais, maintenant, nous sommes obligés d’émarger sur un cahier à chaque fois que l’on entre dans l’école » , souligne Sandrine Balleux.

De nombreux tracts circulent sur lesquels sont scrupuleusement inscrites les revendications des parents d’élèves. Ils rejettent la suppression des heures du samedi matin, transformées en heures supplémentaires pour les enfants en difficulté. « Ça fait trois semaines de moins dans une année » , regrette Jean-Pierre Gryson. De plus, ces heures d’aide individualisée assurées par les enseignants sont censées remplacer les Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased). « Les Rased fournissent un travail de longue haleine de psychologie, de pédagogie et de réinsertion pour les enfants qui ont de gros problèmes, insiste Sandrine Balleux. Ce sont des enseignants spécialisés, qui ont une formation spécifique. Les instituteurs ne pourront pas assurer ce travail en deux heures d’aides par semaine. » Ces nouvelles mesures creuseront les inégalités sociales déjà existantes et auront des conséquences sociales démesurées : « Les gamins en détresse psychologique sont de plus en plus ­nombreux et les Rased vont êtres supprimés. Je ne sais pas si le gouvernement calcule l’ampleur des dégâts » , se désole Agnès Gour, ­psycho­logue en Rased.

Les parents sont notamment préoccupés par l’avenir de l’école maternelle. Déjà, depuis juin 2008, la petite section (réservée aux élèves de 2 à 3 ans) a disparu. Et toutes les sections sont menacées. « Le gouvernement veut instaurer des jardins ­d’éveil à la place des ­classes maternelles, qui dépendront des mairies et pourront être payants ! » , s’inquiète Jean-Pierre Gryson. Sandrine Balleux, petit bout de femme aux cheveux très sombres, s’énerve : « Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que quand on ne pourra pas payer le jardin d’enfants, c’est encore maman qui va s’arrêter de travailler pour garder les petits ? »
Les parents d’élèves reprochent au ministère de l’Éducation nationale d’imposer de nouveaux programmes sans concertation avec les enseignants et les mouvements pédagogiques. Quand ils en parlent, le ton monte rapidement : « C’est un retour aux programmes de 1923. Tout est fondé sur le par cœur, il n’y a plus de réflexion, se révolte Patrick Brousse, un parent d’élève. On veut faire de nos enfants des robots. » Issus de milieux plutôt aisés, les occupants de l’école Bretonneau se sentent également concernés par la fragilité des enfants les plus démunis : « Les parents formés et fortunés pourront donner une bonne éducation à leurs enfants, mais les autres ne le pourront pas, fait remarquer Jean-Pierre Gryson. Notre système éducatif se résumera à une production d’élite. »

Jean-Pierre Gryson et ses collègues de lutte proposent une autre forme de protestation, en occupant les écoles : « Les grèves ponctuelles des instituteurs, le jeudi, sont sans lendemain, et c’est à chaque fois une journée de salaire en moins. Il faut trouver d’autres modes d’action pour soutenir les enseignants. Nous savons bien que ce n’est pas l’école Bretonneau qui va changer les choses, mais cette mobilisation est un bon début. »
D’après les parents d’élèves, une trentaine d’écoles du XXe arrondissement sont actuellement occupées ou sont en passe de ­l’être. Les actions sont très localisées mais les parents espèrent une coordination entre les différents établissements : « Le mouvement s’étend dans le XVIIIe et le XIXe, dans l’Essonne, dans le Val-de-Marne… Les gens sont très mobilisés, il ne faut pas qu’on relâche » , précise Jean-Pierre Gryson. Si le mi­nistre de l’Éducation nationale campe sur ses positions, les parents d’élèves occuperont l’école jusqu’aux vacances de Noël et reprendront le mouvement en janvier. « C’est toute l’éducation qui va mal, de la maternelle à l’université, conclut Jean-Pierre ­Gryson, *Si on lutte tous ensemble, je pense qu’on peut gagner. »
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