Un hiver africain

Le Centre national de la danse consacre toute une saison aux différents visages de la danse noire. Une thématique aux enjeux identitaires, chorégraphiques et, forcément, sociopolitiques.

Ingrid Merckx  • 18 décembre 2008 abonné·es

Saison africaine au Centre national de la danse. Après une exposition de photos consacrée aux danseurs d’Afrique et un week-end avec la compagnie Salia nï Seydou, point de départ d’une réflexion sur la danse contemporaine en Afrique, la thématique « Soleils noirs, continents partagés ? » fait escale aux États-Unis. « Danses noires, blanche Amérique » : tel est le titre de l’exposition et du catalogue concoctés par Susan Manning [^2]. Une manière de poser, avec cette première étude historique en français sur le sujet, les danses noires américaines au centre de questionnements identitaires, chorégraphiques et, forcément, sociopolitiques. De 1900 à nos jours, du jazz à Bill T Jones, Susan Manning retrace un siècle de formes mêlant bantam twist (pas de danse), breakdance, charleston, capoeira, ragtime, suzie Q, gumboot (danse des mineurs), fanfare, music-hall, swing, claquette, Negro Dance, Black Dance, danse « afro-américaine »… Tout un glossaire reliant le geste à une signification, visuels à l’appui.

« Qu’est-ce que la danse noire ? », interroge la critique Zita Allen. Des œuvres reflétant la singularité de l’expérience afro-américaine ou des créations plus abstraites de chorégraphes afro-américains ? Une expression vide de sens inventée par des critiques blancs ou une culture chorégraphique venant influencer la « danse blanche » ? Ces questions traversent en filigrane une étude richement documentée où Susan Manning s’attelle pourtant moins à y répondre qu’à évoquer les artistes s’y rattachant. Elles sont en revanche bien davantage au cœur du travail de Salia Sanou dans Afrique, danse contemporaine [^3] . Ouvrage où le danseur et chorégraphe burkinabé retrace son parcours en même temps que l’ascension de la danse africaine sur la scène internationale ces vingt dernières années. « Doit-on parler de “danse contemporaine africaine”, de “danse africaine contemporaine” ou de “danse de création africaine” ? » , lance-t-il. « Chorégraphes et danseurs africains ne peuvent éviter de témoigner et de poser un regard sur les corps malades, sur les corps immigrants, sur les corps méprisés, sur les corps en quête de bonne gouvernance… »
La danse contemporaine en Afrique est au centre de controverses, explique Salia Sanou. « Le mode des échanges entre les artistes occidentaux et leurs pairs africains oscille entre fascination et incompréhension tandis que les créateurs africains eux-mêmes se soupçonnent les uns les autres de déviations “traditionalistes” ou “occidentalistes”, voire “universalistes” » . Il en sait quelque chose : lui qui a travaillé avec la chorégraphe Mathilde Monnier se serait vu reprocher d’avoir « blanchi » sa danse. Mondialisation oblige ? « Le propre de la danse contemporaine est de ne pas avoir un vocabulaire figé, estime Salia Sanou. *Si, pour les uns, il s’agit de partir d’une gestuelle qui s’inspire de l’héritage des danses sous toutes ses formes (danse africaine de répertoire traditionnel, danse classique et contemporaine), pour les autres, il s’agit sans arrêt d’inventer, d’explorer de nouvelles pistes… »
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[^2]: Danses noires, blanche Amérique, exposition et catalogue (CND, collection « expositions », 124 p., 25 euros), du 15 janvier au 7 avril, CND, 1 rue Victor-Hugo, 93507 Pantin. Tél. : 01 41 83 27 27. Site : .

[^3]: Afrique, danse contemporaine, textes de Salia Sanou, photographies d’Antoine Tempé, éditions Cercle d’art, CND, 112 p. 27 euros.

Culture
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