Une crise toujours plus profonde

Gérard Duménil  • 18 décembre 2008 abonné·es

Du fond de leur marasme, les bourses montent un jour, chutent un autre, mais l’économie, la vraie, ne cesse de s’enfoncer. On ne saurait reprocher aux institutions états-uniennes leur passivité. Au mois d’août 2007, la banque centrale de ce pays, la Réserve fédérale, initiait une série de baisses de son taux d’intérêt. Les journaux assommaient leurs lecteurs des sommes prétendument faramineuses que celle-ci injectait dans l’économie pour soutenir le système financier en crise : un saut de 30 milliards de dollars (moyenne janvier-juillet 2007) à 45 (pour le reste de l’année). Puis 115 milliards début 2008 (janvier-mars). Pourtant, les montants déversés jusqu’à cette date apparaissent désormais bien modestes. En mars 2008, se produisait le premier bond en avant dans la masse des crédits, accompagné d’une diversification des modes d’intervention visant à leur élargissement : une multiplication par un facteur d’environ 4 du soutien total jusqu’à 454 milliards (avril-septembre 2008). Enfin du sérieux. Ce premier cataplasme fut appliqué pendant un semestre. Un an de crise, déjà, mais la fièvre ne tombait pas. Voilà que la Réserve fédérale étend de nouveau le volume de son soutien. Encore une multiplication par 4 : 1 882 milliards en novembre !

Trois phénomènes nouveaux sont intervenus autour de septembre 2008. Ils ont pour noms faillites, récession et globalisation de la crise.
– La vague de faillites des sociétés financières prend des proportions alarmantes. Les institutions de refinancement des crédits immobiliers Fannie Mae et Freddie Mac (privatisées dans les années 1970 mais dites « sponsorisées » par le gouvernement) sont reprises en main par l’État. Le monde voit défiler les plus grands noms de la finance au bord de la faillite ou sauvés de justesse : Lehmann Brothers, AIG, Wahington Mutual, Merryl Lynch, Citigroup…
– L’économie des États-Unis se précipite dans la récession. Les prévisions pour 2009 laissaient entrevoir des chutes de la production de 0,1 %, vite réajustées à 1 %, mais de vrais chiffres catastrophiques sont avancés à mots couverts. Si le sauvetage de la finance reste une préoccupation majeure, ce qui inquiète le plus maintenant est la chute de la demande intérieure. Aux États-Unis, on peut parler d’un effondrement des ventes « de détail ». Les conjoncturistes ont les yeux rivés sur le nombre de véhicules vendus, une diminution de 24 % en un an. Les géants de l’automobile sont au bord du gouffre. L’ombre de la crise de 1929 plane. « Dépression » ? On ose à peine prononcer le mot, mais on y songe. Le chômage de masse, la misère…

– Globalisation de la crise. Le dernier trimestre 2008 signale l’extension de la crise à l’ensemble de la planète. Jusqu’alors, on pouvait penser que la vente de titres douteux au reste du monde avait propagé la gangrène aux pays qui financent l’économie états-unienne par leurs placements. Mais les choses sont plus sérieuses. La Grande-Bretagne, petite sœur des États-Unis dans la course à la financiarisation, est profondément ébranlée. Certains s’alarment : peut-on encore sauver Londres dans son rôle de plate-forme financière mondiale ? Le beau rêve de Margaret Thatcher tournerait-il au cauchemar ? À la confusion financière s’ajoute le chaos monétaire. La tempête des mouvements de capitaux souffle sur les taux de change. Le yen s’envole vis-à-vis du dollar, alors que tous prévoyaient l’effondrement du billet vert, et la plupart des autres monnaies (l’euro, la livre, mais aussi le réal brésilien) décrochent par rapport au dollar. En quatre mois, le yen s’est apprécié de 16 % ; le réal a perdu 37 % [^2]. Certains pays dits émergents sont confrontés à la fonte de leurs réserves en devises. Peu après septembre 2008, et pas par hasard, la Banque centrale européenne sort de sa torpeur et déverse à son tour ses crédits sur le système financier. Le FMI intervient à la hauteur de ses moyens mais, surtout, la Réserve fédérale inonde la planète de dollars par le biais de gigantesques opérations d’échange de monnaie (dites de swap). Une charité bien ordonnée qui commence par le désir de préserver la prééminence internationale du dollar.

« Disposés à tout », au moins « à beaucoup » : l’extension des soutiens depuis septembre 2008 en fait la preuve. Mais tous les indicateurs sont désormais au rouge et signalent que la détermination à agir ne suffit pas à arrêter la glissade. Comment soutenir alors l’activité ? Côté offre de crédit, les banques sont au plancher. Côté demande de crédit, les ménages ont crevé le plafond . Reste l’État, le budget cette fois. Tout va reposer sur lui. La mécanique est déjà en marche aux États-Unis : un déficit qui atteint 6 % de la production du pays. L’équipe de Barack Obama annonce un plan de 1 000 milliards de dollars. De l’autre côté de l’Atlantique, risquons un pronostic : le seuil européen des 3 % ne résistera pas à la crise.

[^2]: Par rapport au dollar, entre le 1er août et le 4 décembre.

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