Comme un vent de fronde…

Les parlementaires et responsables de la majorité n’hésitent plus à faire part de leurs désaccords avec le gouvernement et même avec Nicolas Sarkozy. Dominique de Villepin est le plus virulent.

Michel Soudais  • 15 janvier 2009 abonné·es

Remaniement ministériel, réorganisation de l’UMP sous la houlette de Xavier Bertrand… En ce début d’année, Nicolas Sarkozy serre les boulons de sa majorité. Il s’agit de la mettre en ordre de marche pour 2012, susurre-t-on. Une manière de dire qu’elle ne l’est pas autant que le voudrait son Président de patron. Et de reconnaître que sa prééminence n’est plus aussi incontestée qu’au début du quinquennat. Car le volontarisme de Nicolas Sarkozy commence à lasser. Jusque dans les rangs de la droite. Des députés rechignent à autoriser le travail dominical comme il l’exige, des parlementaires renâclent devant sa réforme de l’audiovisuel, critiquent son plan de relance, s’inquiètent de la suppression du juge d’instruction… Dernier symptôme de cette contestation rampante, Dominique de Villepin ne se retient plus de dire tout le mal qu’il pense de son ancien ministre de l’Intérieur.

Illustration - Comme un vent de fronde…

Le contentieux judiciaire qui oppose Dominique de Villepin et le Président influe sur leurs relations. SAGET/AFP

« L’hyperactivité n’est pas suffisante » , professe l’ancien Premier ministre en accusant le chef de l’État d’être incapable de « hiérarchiser les problèmes et de se consacrer à l’essentiel ». En quelques mots bien affûtés, lâchés sur LCI vendredi dernier, il ne reproche rien de moins au président de la République que de n’être pas à la hauteur de sa fonction. Le même jour, dans un long entretien au Parisien, Dominique de Villepin, qui fut secrétaire général de l’Élysée, soupçonne le successeur de Jacques Chirac d’être tenté « de vouloir rester seul maître du jeu en divisant pour régner » . « C’est dangereux » , avertit-il. Le vocabulaire est choisi, la charge délibérée.

L’opposition entre les deux hommes n’est toutefois pas que de style. Car la critique villepinesque n’oublie quasiment aucun des grands sujets de l’heure. Le plan de relance centré sur l’investissement dans les infrastructures ? Ses « effets risquent d’être trop lents » , quand il aurait fallu privilégier « deux leviers beaucoup plus efficaces » : le logement et l’investissement dans l’innovation. Jouant d’une touche plus sociale, Dominique de Villepin aurait préféré « un plan de modernisation s’accompagnant d’une aide aux plus fragiles pour passer le cap d’une crise grave qui sera longue » plutôt qu’un plan de relance. Au passage, il dénonce « le fardeau » des « 15 milliards du paquet fiscal » qui réduit les marges de manœuvres budgétaires du pays, une « initiative idéologique » équivalente à ses yeux aux 35 heures, dont il estime le coût annuel à plus de 20 milliards d’euros.
Partisan de « la réforme à coûts limités » par opposition à « une réforme idéologique qui divise mais ne sert pas le pays » , Dominique de Villepin met en garde contre « deux miroirs aux alouettes […] : la rupture et la réforme tous azimuts ». Et fait feu de tout bois : la nomination du président de France Télévisions par l’Élysée ? « Une erreur. » La suppression du juge d’instruction ? « Une erreur » aussi. Réduire le droit d’amendement des textes de loi par les parlementaires ? « Une erreur » encore. Pour ce fidèle de Jacques Chirac, « ces mesures peuvent conduire à une restriction des libertés publiques » , et il dresse un parallèle implicite avec la politique conduite aux États-Unis par George W. Bush après le 11 Septembre, quand ce dernier, « cédant à la peur » , avait choisi de « rogner les libertés publiques » pour accroître la sécurité.

Dans son réquisitoire, l’ancien patron du Quai d’Orsay n’oublie pas de juger la diplomatie française, « malheureusement » déséquilibrée au Proche-Orient, et trop alignée sur les États-Unis. « La stratégie de marginalisation du Hamas n’a pas obtenu le but espéré » , note-t-il en plaidant la nécessité de « parler avec tout le monde ». Le retour programmé au sein de l’Otan ? « Extrêmement dommageable » puisque « ce serait une erreur de rétrécir le champ [des] ambitions de la France à la seule famille occidentale ».
Pareil dézingage de Nicolas Sarkozy, au sein même de sa majorité, aurait été impensable il y a trois mois. Il est pourtant curieusement passé inaperçu. Comme si les grands médias craignaient de courroucer le souverain en se faisant l’écho des propos de son ennemi le plus intime. Que le contentieux judiciaire qui oppose les deux hommes dans l’affaire Clearstream influe sur leurs relations est une évidence. Villepin, on le sait, devra s’expliquer devant la justice à la fin de l’année, à la suite d’une plainte que Sarkozy a refusé de retirer – « Plutôt crever » , aurait-il dit. Cela ne disqualifie pas pour autant le jugement politique que le premier peut porter sur son plaignant. Surtout quand il dit tout haut ce qu’un nombre croissant de parlementaires murmurent de plus en plus distinctement.
C’est bien parce qu’une soixantaine de députés de la majorité, conduits par le député des Côtes-d’Armor, Marc Le Fur, ont mené bataille contre le travail dominical que l’examen de ce projet de loi, cher au Président, a été reporté sine die . C’est aussi parce que les sénateurs centristes et UMP, à la suite des députés, apprécient peu et la réforme de l’audiovisuel et la manière dont on la leur impose que l’examen de ce projet de loi traîne en longueur. Au point que Jean-Pierre Raffarin, se faisant le porte-parole de ses collègues, indiquait mardi matin que le Sénat pourrait… « se rebeller ».
La fronde n’est pas encore tempête, mais c’est déjà plus qu’une brise.

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