Crise : dix premières leçons

Christophe Ramaux  • 8 janvier 2009 abonné·es

1/La spéculation est consubstantielle à la finance libéralisée. Banques et finance doivent donc être reréglementées. Et radicalement ! Le livre de Frédéric Lordon
[^2]
avance des propositions précises en ce sens.

2/Notre société est capitaliste puisque la production capitaliste domine (le secteur public, l’économie sociale et les indépendants ne produisent qu’un bon tiers du PIB). Mais elle n’est pas une société monocapitaliste où la domination de la finance libéralisée serait une fatalité. Pendant plusieurs décennies, grâce à la réglementation, publique, on n’a connu ni bulle ni krach. De façon générale, il faut en finir avec l’idée selon laquelle l’intervention publique aurait été une exception adaptée aux Trente Glorieuses. Les économies modernes ne peuvent décidément être des économies de marché : elles sont des économies mixtes .

3/La crise réhabilite la puissance publique. Mais cette réhabilitation doit être complète afin, entre autres, que la socialisation des pertes abyssales de la finance ne soit pas suivie par le retour de ses rentes indignes.

4/La finance libéralisée était la clé de voûte intellectuelle (« elle permet de sélectionner les projets les plus performants » ) et pratique (les entreprises soumises à la « valeur actionnariale ») du régime libéral imposé dans les années 1980. Son explosion en plein vol signe la fin de ce régime. Tout l’enjeu est de savoir par quoi il sera remplacé.

5/Puisque la crise est systémique, c’est l’ensemble du régime libéral qui doit être mis en cause. L’austérité salariale, bien sûr, car c’est l’une des racines de la crise (à défaut de salaire, c’est par la dette privée que certains pays ont tiré la croissance). Mais aussi l’instrument qui l’a largement imposée : la libéralisation commerciale (le parti socialiste lui-même bouge sur ce registre).

6/Le risque immédiat est celui de la spirale dépression-déflation, dont il est difficile de sortir (la baisse des prix conduit à retarder les achats, ce qui plombe les ventes, la production… et fait baisser les prix). On mesure au passage l’indigence des thèses sur la décroissance et le coût-du-travail-responsable-du-chômage. C’est bien la croissance qui crée de l’emploi, et son absence qui en détruit (et non le coût du travail !). Seul un soutien public massif est susceptible de juguler cette spirale. La zone euro est totalement à la traîne ici. La BCE tarde à baisser ses taux, ce qui bloque un peu plus le circuit du crédit, pousse l’euro à la hausse et favorise la déflation (le prix des biens importés baisse). Quant au volet budgétaire, il est pour l’heure insignifiant (26 milliards d’euros sur deux ans pour le plan français, dont la moitié constituée de simples avances de trésorerie).

7/Les caisses n’étant pas vides, seul le soutien à la consommation des ménages et à l’investissement public est susceptible d’enrayer la dépression. Cela peut être écologique : le secteur sinistré du BTP, par exemple, peut être soutenu par un vaste plan de rénovation thermique et de soutien au fret ferroviaire. Comment accroître la consommation ? Thomas Piketty et Philippe Martin plaident pour une baisse de la TVA. La contrainte extérieure n’est pas si forte, soulignent-ils : les importations de biens de consommation (70 milliards d’euros) représentent seulement 7 % de la consommation finale des ménages. C’est oublier d’autres postes (automobile et biens intermédiaires, soit 50 et 140 milliards d’importations) qui entrent directement ou indirectement dans cette consommation. Mais ne gâchons pas notre plaisir de voir des économistes mainstream relativiser l’argument de la contrainte extérieure. On peut cependant ajouter que la hausse des prestations sociales et des salaires aurait un effet moins aléatoire que la baisse de la TVA (non totalement répercutée sur les prix afin de maintenir les dividendes).

8/Les déficits publics et la dette vont se creuser : par chute des recettes fiscales si rien n’est fait, par surcroît de dépenses si plan en ce sens il y a. Patrick Artus, autre économiste mainstream , souligne que ce sont les riches qui devront cette fois payer. Lucidité tardive…

9/Sarkozy est bien le roi de l’esbroufe. Il sait
– il a été élu grâce à cela – que la demande est au volontarisme politique, au retour de l’État. Il gesticule en ce sens. Mais refuse de nationaliser les banques, laisse les pyromanes gérer les milliards du sauvetage financier et accouche d’un minable plan de relance.

10/« La mondialisation est inéluctable », « les États ne peuvent plus grand-chose. » Que n’a-t-on entendu en ce sens, y compris chez les altermondialistes ? Mais qui sauve les banques, qui met en œuvre les plans de relance ? Les États nations ! Cela vaut en Europe. Le budget de l’Union représente 1 % du PIB (européen), tandis que celui des États (sans compter la protection sociale) est de l’ordre de 20 %.
Les politiques européennes de relance sont nécessaires, mais attention de ne pas en prendre prétexte pour ne pas faire tout ce qui doit être fait au niveau national.

[^2]: Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, éditions Raisons d’agir, 2008.

Temps de lecture : 5 minutes