Les maux de la rentabilité

Difficultés d’accès aux soins, fermetures d’hôpitaux… Un portrait sombre de la santé en France, loin des principes égalitaires.

Jean-Claude Renard  • 8 janvier 2009 abonné·es

En 2007, Michael Moore épinglait le système de santé aux États-Unis et louait le nôtre. « Si on est malade, on va à l’hôpital, on se fait soigner. C’est aussi simple. C’est le principe de solidarité qui demeure, et non pas celui de l’assurance. Les plus riches, en France, payent pour les plus pauvres. » Faute de moyens, faute de prises en charge, plus de cinquante millions d’Américains ne peuvent se soigner. Moore a beau s’illustrer dans le documentaire, c’est là une présentation idyllique de la santé en France. Parce que les temps ont changé. Pour pouvoir se soigner, il est impératif d’en avoir les moyens. Tel est l’objet de ce film réalisé par Jacques Cotta et Pascal Martin, qui reviennent d’abord aux sources en puisant dans les images d’archives, rappelant qu’après-guerre, dans un pays exsangue, la Sécurité sociale se trouvait malgré tout au cœur de la reconstruction nationale. « Cotiser selon ses moyens, être soigné selon ses besoins. » Un choix philosophique, une aspiration humaniste déterminée alors par le Conseil national de la Résistance.

Le pacte social érigé en 1945 est maintenant complètement remis en cause. C’est une démonstration qu’orchestrent ici les réalisateurs, à travers divers entretiens, divers témoignages. À commencer par celui de Jean de Kervasdoué, professeur d’économie et de gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers, considérant que « les dépenses sociales n’ont jamais été aussi élevées » , et que, pour autant, « il n’y a pas de régression sociale » . Tout est bien dans le meilleur des mondes, en somme. Nicolas Sarkozy avance des chiffres, Roselyne Bachelot suit à la lettre. Les réalisateurs ont donc choisi une autre voie, et la rencontre de personnes malades confrontées à une difficulté croissante d’accès aux soins. La réalité du terrain et des visages contre le discours. Comme en témoigne Bruno- Pascal Chevalier, assistant social, atteint du sida, qui pointe les franchises multiples, les déplacements facturés, la hausse des forfaits hospitaliers, le nombre grandissant de médicaments non remboursés, les dépassements d’honoraires chez les spécialistes. En 2007, il a entamé une grève des soins pour faire entendre sa révolte. Parce que justement les autorités cherchent à rassurer, dissimulent. Malades du sida, atteints de cancer ou de diabète doivent filer droit. Les remboursements à 100 % sont devenus rares, la Sécurité sociale reprend d’une main ce qu’elle octroie de l’autre, discrètement. Les franchises sont légion, censées responsabiliser les malades. « En 1945, c’étaient de vrais malades, observe Christian Lehmann, médecin. Aujourd’hui, ce sont des névrosés simulateurs ! » Les mêmes simulateurs, par millions, qui n’ont pas même droit à la CMU dès lors que leurs revenus mensuels sont supérieurs à 606 euros…

Toujours en dépassant le seul cadre des mots officiels, second volet de cette enquête remarquable, Jacques Cotta et Pascal Martin soulignent les déserts médicaux qui se mettent en place au fil des années. Plus de 250 établissements de santé risquent aujourd’hui de boucler. Les fermetures de la maternité de Clamecy et de l’hôpital de Lézignan sont deux exemples parmi d’autres. Au seul nom de la rentabilité.
« Que valent dans ce contexte les discours sur le déficit de la Sécu, s’interrogent les réalisateurs, qui imposerait des efforts drastiques sur le dos de notre système de santé, au détriment des plus fragiles ? Alors que le trou de la Sécurité sociale est chanté sur tous les tons, que valent les 11 milliards de déficit lorsque la garantie de l’État apportée aux banques porte sur plus de 340 milliards d’euros ? »

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