Pourri Brest

Dans son cinquième roman, « Paris-Brest », Tanguy Viel met en scène les travers d’une famille âpre au gain et sans scrupule. Dévastateur.

Christophe Kantcheff  • 8 janvier 2009 abonné·es

Une grand-mère héritière d’un homme de 88 ans qui lui a proposé, bien que la connaissant à peine, de vivre avec lui jusqu’à sa mort, et de récupérer ses 18 millions d’actifs. Sans plus de sentiments de sa part à elle. Une mère (la fille de la précédente) et un père qui, dans un mouvement inverse et simultané, sont obligés de déménager dans le sud de la France pour cause de malversation. Le père est en effet accusé d’avoir détourné 14 millions de francs en tant que vice-président du club de foot local. Drôle d’ascendance pour le narrateur.
Après l’Absolue Perfection du crime (2001) et Insoupçonnable (2006), réédité aujourd’hui en poche [^2], Paris-Brest, le cinquième roman de Tanguy Viel, a de nouveau l’argent pour thème. Mais si les sources de cet argent sont, comme dans les précédents, plus ou moins avouables, l’intrigue ne repose ni sur le suspense ni sur les rebondissements. Ici, le ton est davantage au malaise grinçant, presque à la satire sociale.
Il en est ainsi des rapports de classes. Aux yeux de sa mère, le narrateur n’a qu’un défaut : il a pour camarade le jeune Kermeur, fils de la femme de ménage de la grand-mère. Une mauvaise fréquentation, parce que socialement inférieure. Kermeur va devenir le mouton noir de cette famille, celui qui cristallise les fantasmes de malédiction. Mais, en même temps, Tanguy Viel se méfie du manichéisme : son Kermeur n’est pas précisément sympathique.

Il y a du Chabrol dans ce Paris-Brest , comme il y avait du Melville ou du Hitchcock dans les romans précédents (le cinéma est partie prenante de la littérature de Tanguy Viel). Que ce soit dans la description du Cercle Marin, le restaurant où se donne rendez-vous la bonne société de la Marine brestoise, ou les séances de bridge du vendredi soir, que fréquentent la mère du narrateur et la femme du procureur de la République. Ce qui a permis sans doute d’atténuer la sanction juridique contre son mari indélicat avec l’argent du football, mais pas le scandale public.
Une fois de retour à Brest après un « exil » de quelques années, celui-ci, dissimulé derrière les vitres teintées de sa voiture, souffre encore d’être reconnu et raillé dans les rues de la ville. En revanche, ni lui ni sa femme n’éprouvent la moindre honte à profiter de l’héritage de la grand-mère. Ils sont revenus avant tout pour capter cette fortune qu’ils estiment en meilleures mains dans les leurs. Ils ont fait construire une grande maison à l’écart, et ont relégué la vieille dame dans un grenier aménagé. Pas jolie jolie, cette famille, qui ressemble à celle de Festen , autre référence cinématographique possible.
Mais pas de scène de révélations ici, ou plus exactement, celles-ci se font de manière indirecte, par le biais d’un manuscrit. Le narrateur a en effet écrit son roman familial, que sa mère découvre, lit et brûle. C’est la dernière dimension de ce roman, le moins virtuose mais le plus complexe de Tanguy Viel : le narrateur a beau avoir pris soin, dans son manuscrit, de transformer la réalité « pour ne pas avoir d’ennuis » , l’effet de réel, et même l’effet de fiction, a une charge éminemment dévastatrice quand il touche juste. C’est fort, dangereux et sans doute salutaire.

[^2]: Collection « double », 144 p., 6,50 euros.

Culture
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