Tranche de rire napolitaine

Avec « La Grande Magie », Laurent Laffargue réhabilite le génial Eduardo de Filippo.

Gilles Costaz  • 8 janvier 2009 abonné·es

C’est le sort des baladins qui font rire : on les applaudit, on les oublie, on les redécouvre et on les oublie à nouveau. Le Napolitain Eduardo de Filippo (1900-1984) n’était pas un simple rigolo puisqu’on peut aisément le situer à une hauteur proche de celle de Pirandello. Mais il fut un auteur-acteur qui passa toute sa vie en scène, un saltimbanque des quartiers populaires, un écrivain qui écrivait pour Naples et pas pour Rome. En France, Huguette Hatem, qui a traduit beaucoup de ses œuvres, a permis qu’on l’aime dans nos théâtres. Voilà qu’après quelques années de calme plat, de nouvelles portes s’ouvrent pour ce génie du théâtre méditerranéen. On verra, en l’espace de quelques mois, deux mises en scène d’une même pièce, la Grande Magie : après sa création au Grand T de Nantes, la vision de Laurent Laffargue arrive à Boulogne-Billancourt. Fin mars, une version par Den Jemmett sera donnée à la Comédie-Française.

Le spectacle représenté en région parisienne n’a pas seulement l’avantage de l’antériorité. Il va au cœur d’une œuvre complexe parce que, sous sa vivacité comique, elle prend à contre-pied les vérités et le style qui semblent la définir. Un illusionniste arrive à Naples, et la bonne société se presse pour assister à ses tours de magie. Tout le monde a le souffle coupé, et surtout un brave bourgeois qui voit sa femme disparaître dans un sarcophage et n’en pas ressortir. Le mari ne la reverra pas. Du moins pas avant longtemps car, bien sûr, c’est un coup monté entre le charlatan et un amant trop heureux d’utiliser ce stratagème pour enlever la femme qu’il aime. De Filippo pourrait rester sur cette ligne-là et s’en amuser, mais il suit la vie de l’homme trompé qui ne peut accepter son malheur, s’enferme dans l’irrationnel pour ne pas admettre une réalité trop cruelle et entreprend un dialogue espacé avec le magicien. Quatre ans plus tard, la femme revient. Comment admettre ce retour et reconnaître qu’il n’est que la fin d’une banale histoire d’adultère ? Métamorphosé, l’homme restera dans une illusion qui est une autre dimension de l’esprit.
Laffargue s’est plu à situer l’action près de nous, pour le premier acte dans un grand hôtel où les riches flânent en costumes de bain devant la piscine. Juste pour éviter des images rétro. Et la pièce, lancée un peu lentement, court ensuite vers ses sinuosités, son rire qui se casse, ses allers et retours entre la fête à l’italienne et les moments où la gorge se serre. Georges Bigot est un saisissant interprète de l’homme abandonné. Daniel Martin joue l’Houdini de la baie de Naples dans une belle malice masquée. Anne Cressent, en femme infidèle, a l’éclat des séductrices de l’écran italien. Il y a quatorze acteurs et chanteurs, tous dans la même rouerie sensuelle, sous un regard discrètement politique. Le plaisir même.

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