« Un autre rapport entre ici et ailleurs »

Pour Philippe Bourdeau*, la décroissance permet de réinventer une culture du tourisme.

Patrick Piro  • 8 janvier 2009 abonné·es

Le tourisme, même dans sa version la plus respectueuse, parvient-il à être compatible avec une nécessaire décroissance ?

Philippe Bourdeau : Les termes « durable » ou « éthique » sont revendiqués par tous les opérateurs touristiques ou presque. Mais ce sont souvent des pétards mouillés : déclarations, surenchère commerciale, maquillage écologique… recouvrent des pratiques dont la plupart ne sont jamais évaluées. En forçant le trait, on pourrait dire qu’une station de ski va pouvoir s’offrir une certification environnementale parce qu’elle trie les déchets et installe des cendriers sur les télésièges… L’inflation des chartes, labels, critères en tout genre ne change donc pas grand-chose sur le fond. Ce tourisme est symptomatique des contradictions de notre société, qui le voit avant tout comme un « levier de croissance »

N’est-on pas « hors durable » dès que l’on prend l’avion pour voyager ?

Les vols « à bas coût » sont emblématiques, puisqu’ils font désormais office de tourisme social. Mieux remplis, ils sont moins émetteurs de CO2, mais leur nombre explose sur les aéroports régionaux, avec le soutien financier des collectivités territoriales. Ce qui accentue la transformation des « grandes vacances » en courts séjours répétés et génère une junk mobility, alors que seulement 3,5 % de la population mondiale a accès au tourisme.

Comment changer ce tourisme ?

Pour ses détracteurs, il incarne une société de consommation boulimique et arrogante, où l’immobilité est un désordre. Plus c’est loin et plus c’est désirable : la frénésie de mobilité s’est muée en valeur dominante, bien qu’elle constitue un couple aliénant avec le travail. Mais elle est un nouveau conformisme. Pour les « objecteurs de mobilité », la rupture, aujourd’hui, ce n’est pas de partir comme le routard des années 1970, mais de refuser l’avion ou la voiture.
L’économie touristique se voudrait fabrique de culture : il faut à l’inverse reconquérir l’autonomie de nos pratiques culturelles. Il semble aussi souhaitable de conforter le secteur non-marchand — hébergement familial, pratiques gratuites dans la nature, etc. Enfin, il faut être attentif à la revalorisation des espaces proches, et retrouver les vertus de la proximité, sans renoncer à l’émancipation dont le tourisme et le loisir sont porteurs. C’est un nouveau regard sur la relation entre « ici » et « ailleurs » que réinventent déjà nombre de pratiques expérimentales du tourisme qui conjuguent récréation et re-création.

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