Du passé, la LCR fait table rase

Avec la création du NPA, le parti trotskiste devient « anticapitaliste, altermondialiste, écologiste, féministe »… Une volonté de « dépassement » qui n’est pas nouvelle dans son histoire.

Michel Soudais  • 5 février 2009 abonné·es

La Ligue communiste révolutionnaire aurait eu 40 ans en avril. « Aurait », car elle vit ses dernières heures ce jeudi 5 février. L’issue de son congrès de dissolution convoqué en préalable au congrès de création du NPA, le Nouveau Parti anticapitaliste (6-8 février), ne fait en effet aucun doute. Même si la majeure partie des membres de la Ligue soutiennent que cet enterrement est aussi une renaissance et se félicitent que leur parti ait réussi à se « dépasser » , cette mutation tourne la page du trotskisme dont se revendiquait la LCR. « On ne veut pas faire un nouveau parti trotskiste », aime à répéter Olivier Besancenot, tout en reconnaissant que cet abandon suscite « toujours des réticences » . Signe que la pertinence du trotskisme fait encore débat au sein de l’organisation.
À sa naissance, déjà, la Ligue communiste, comme elle s’appelait alors, avait pour ambition de bâtir une organisation fusionnant l’héritage politique et théorique du trotskisme et les aspirations révolutionnaires de la jeunesse de Mai 68. Ce qui constituait déjà une adaptation aux nécessités de l’heure. Analysant le mouvement de Mai comme une « répétition générale » , elle cherche à intervenir sur tous les fronts de lutte, multipliant les « secteurs d’intervention » . Ce militantisme diversifié a permis à la LCR d’asseoir une influence sans rapport avec le nombre de ses militants. Sans toutefois non plus que son implication dans les mouvements sociaux ne se traduise en résultats politiques ou électoraux.

Autre constante de l’histoire de la Ligue : « L’idée de construire une nouvelle force politique et de “dépasser” la LCR n’est pas à proprement parler nouvelle » , note François Coustal [[L’Incroyable Histoire du Nouveau Parti anticapitaliste,
François Coustal, Demopolis, 236 p., 14 euros.]]. Au tournant des années 1980-1990, l’effondrement du mur de Berlin et l’adoption de l’économie de marché dans les pays de l’Est invalident l’hypothèse politique défendue par la LCR, à savoir qu’à l’effondrement de l’URSS succéderait une « révolution antibureaucratique » vers le socialisme. En 1992, la LCR en déduit qu’à cette « nouvelle époque » doivent correspondre un « nouveau programme » et un « nouveau parti » , défini comme un « parti anticapitaliste large » ouvert à ceux qui ne se reconnaissent pas nécessairement dans le marxisme révolutionnaire.

Ce vœu sera repris à tous les congrès. Avec des traductions différentes. La LCR a ainsi plaidé en 1996 pour la constitution d’ « un pôle de radicalité » incluant les Verts, le PCF et le MDC de Jean-Pierre Chevènement pour contrer « l’hégémonie » du PS sur la gauche, avant de s’allier avec LO aux européennes de 1999, malgré les divergences qui ont toujours opposé les deux organisations. Qui se séparent en 2001 et renouent en 2004, pour les régionales et les européennes. Si bien que la perspective du dépassement, sans cesse réaffirmée, est constamment repoussée.

Après la présidentielle de 2007, rapporte François Coustal, « ce qui n’était qu’un positionnement politique général, une référence un peu abstraite, est devenu un projet concret, une bataille immédiate. Cette fois-ci, c’était pour de bon ! » À suivre ce ­membre chevronné du bureau politique, c’est dans les semaines qui ont suivi le premier tour et le (relatif) succès d’Olivier Besancenot que le projet NPA a mûri au sein de la direction de la Ligue. Sans doute plus tôt… Quand la LCR a sciemment joué l’échec du mouvement pour une candidature unitaire de la gauche du « non ». Mais le reconnaître est impensable, même trois ans après.
Le projet, radical dans la forme, passe par une disparition de la LCR. Engagée dans le mouvement social, elle avait déjà abandonné, en 1998, plusieurs pratiques jugées désuètes : le statut de stagiaire qui précédait l’adhésion, le recours aux pseudonymes… Parallèlement, elle s’était employée à moderniser son corpus idéologique, se définissant plus volontiers comme une « gauche radicale, anticapitaliste, écologiste et féministe » que par référence aux idées de Trotski. Cette fois, la LCR va plus loin : nom, programme, fonctionnement… Tout doit changer. Jusqu’à ses dirigeants et ses débats.

L’annonce de cette mutation se fait non dans Rouge mais dans le Parisien, fin août 2007, par un entretien que le quotidien résume ainsi : « Besancenot veut supprimer la LCR. » Devant les militants réunis pour l’université d’été, le jeune postier n’est pas moins brutal : « On ne peut faire du neuf avec du vieux » , déclare-t-il. Avant d’indiquer que le « nouveau parti anticapitaliste » doit reprendre à son compte « les meilleures traditions du mouvement ouvrier » : socialiste, communiste, trotskiste, mais aussi féministe, écologiste, altermondialiste et même guévariste et libertaire.
Pour les dirigeants de la LCR, l’identification de leur parti à « l’extrême gauche révolutionnaire » et au trotskisme « érige une barrière entre l’organisation et tous ceux qui, bien que largement en accord avec ses discours et ses propositions, ne peuvent se reconnaître dans des références, une histoire et une culture militante qui leur sont étrangères » , résume François Coustal.
Ce week-end, la LCR a, selon les termes d’Olivier Besancenot, « rendez-vous avec [sa] propre histoire ». Que restera-t-il du trotskisme de ses origines ? Pas même l’adhésion du NPA à la IVe Internationale…

Politique
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