Il était une fois le trotskisme…

Le trotskisme se définit surtout en opposition au stalinisme,
au sein du parti communiste d’Union soviétique d’abord,
au plan international ensuite.

Denis Sieffert  • 5 février 2009 abonné·es

Le trotskisme, c’est à la fois une théorie et une histoire. La théorie, c’est « la révolution permanente », laquelle est loin, très loin, d’être la chienlit perpétuelle que décrit le vulgaire. C’est en fait une construction économique très sérieuse et très datée. Trotski l’avait élaborée une première fois dans un opuscule paru en 1906, Bilan et perspectives. À l’époque, les révolutionnaires russes se posaient le problème de la nature de la révolution à laquelle ils travaillaient. Dans un pays féodal, la révolution devrait-elle en passer par une étape bourgeoise, ou celle-ci se transformerait-elle immédiatement en révolution socialiste ? Autrement dit, la Russie tsariste devait-elle d’abord faire son « 1789 », et respecter une longue période de domination de la bourgeoisie, avant d’envisager une révolution prolétarienne ? Cette double hypothèse est à l’origine de la fracture entre bolcheviks et mencheviks. Les seconds, défenseurs de la thèse de la révolution par étapes, en déduisaient qu’il fallait s’allier à la bourgeoisie libérale. Trotski a construit la théorie inverse, celle de la « transmutation » immédiate de la révolution bourgeoise en révolution socialiste prolétarienne. C’est cela, la révolution permanente. Mais ce débat en cachait un autre. La conviction de Trotski reposait sur l’idée qu’il ne pouvait plus y avoir, au XXe siècle, de révolution strictement nationale, et que toute révolution serait nécessairement marquée par la situation internationale. La Russie en était certes toujours à un régime féodal, mais les pays industrialisés avaient, eux, déjà accompli leur révolution bourgeoise. Cette vision « planétaire » est d’ailleurs la marque du trotskisme. On pourrait presque dire que Trotski avait pensé la mondialisation avant l’heure.

Cette pensée de l’interdépendance économique et politique fonde l’internationalisme de Trostki, qui n’est pas seulement une affaire de solidarité entre les peuples. Et c’est en fait le même débat qui se reproduira, après la révolution d’Octobre, au début des années 1920, entre partisans du « socialisme dans un seul pays » et partisans de la révolution permanente. C’est-à-dire, bientôt, entre staliniens et trotskistes. Pour les staliniens, le socialisme est possible dans les seules frontières de la Russie. Pour les trotskistes, elle sera mondiale ou ne sera pas. La position de Staline a son corollaire : le repli politique favorise la mise en place à la tête du parti bolchevique d’une bureaucratie que Trotski et ses partisans ne cesseront de dénoncer à partir d’octobre 1923.

Cette date correspond aussi au début de l’agonie de Lénine, qui avait nettement penché du côté de Trotski. Rapidement, l’échec des tentatives révolutionnaires en Allemagne et en Hongrie, notamment, sur lesquelles comptait Trotski, va favoriser la victoire des thèses staliniennes. L’épuisement de la population russe sera aussi un facteur important de la défaite de Trotski et de l’opposition constituée à partir de 1926. La liquidation politique des trotskistes survient peu après. En 1927, les opposants sont exclus du Parti. En 1929, Trotski est expulsé d’URSS. C’est le début d’une longue errance et d’une longue traque qui conduira « le prophète désarmé » à Prinkipo, au large d’Istanbul, en Norvège, en France, et finalement à Mexico, où il sera assassiné par un agent de Staline en août 1940.
Au cours de cette période, Trotski n’abandonne pas le combat politique. Tirant le bilan des Fronts populaires en France et en Espagne, et de la « trahison » des partis communistes (« staliniens », selon sa terminologie), il fonde en 1938 la IVe Internationale, qui constituera son principal legs aux trotskistes de l’après-guerre.

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