La crise prend de l’ampleur

Un président de moins en moins crédible qui décroche dans les sondages, une opposition qui ne parvient pas à se faire entendre… La crise sociale prend une tournure politique.

Michel Soudais  • 19 février 2009 abonné·es

Le rendez-vous était crucial. Il ne sera certainement pas décisif. Avant la rencontre organisée à l’Élysée, mercredi 18 février, entre les partenaires sociaux et Nicolas Sarkozy, tous les indicateurs politiques s’étaient colorés de rouge. Qu’on le mesure au nombre des mouvements sociaux ou dans les enquêtes d’opinion, le constat est le même : les Français sont de plus en plus mécontents de l’action de l’exécutif. Alors que la crise économique s’aggrave, cette défiance n’épargne aucun des responsables du gouvernement, et surtout pas le chef de l’État, dont la crédibilité est grandement entamée, signe d’une indéniable crise politique.

Illustration - La crise prend de l’ampleur

Les manifestants du 29 janvier ont exprimé un fort rejet de la politique du chef de l’État.
Médina/AFP

Après le succès de la journée d’action interprofessionnelle du 29 ­janvier, qui a mis plus de deux millions de personnes dans les rues, Nicolas Sarkozy pensait sans doute qu’une émission spéciale à la télévision calmerait l’inquiétude sociale. Qu’une bonne séance de pédagogie de la crise suffirait à faire taire les revendications. Mais la recette est éculée, et l’explication présidentielle, loin de calmer la grogne, semble bien l’avoir amplifiée. Avant le 29 janvier, 69 % des Français soutenaient ou avaient de la sympathie pour la mobilisation syndicale, selon un sondage CSA pour l e Parisien.
Dans une étude du même institut, réalisée le 11 février, ils étaient ­désormais 75 % à comprendre que l’on puisse manifester, et exprimer des inquiétudes et des mécontentements face aux réformes envisagées par le gouvernement et le président de la République.

L’émission devait valoriser un Nicolas Sarkozy à l’écoute des Français. Du décor du plateau, installé sous les lambris dorés de l’Élysée, se dégageait une tout autre impression. Sur le petit écran, le président est apparu déconnecté du peuple. De larges bandes d’un blanc virginal dessinaient au sol, tout autour de la table d’entretien, une sorte de fossé symbolique que les journalistes devaient franchir pour venir l’interviewer. Cette image d’un président coupé du peuple, déconnecté des préoccupations des Français, dont il ne perçoit l’écho qu’à travers le miroir déformant des rapports de son administration et des synthèses des enquêtes d’opinion que lui rédigent ses conseillers, n’est pas nouvelle. Tous les présidents de la République qui l’ont précédé, sous la Ve République, l’ont connue.

L’image était d’autant plus forte qu’à vouloir reprendre l’initiative face aux manifestations en donnant un volet social à son plan anticrise, dans un climat très tendu, Nicolas Sarkozy ne pouvait pas dire grand-chose de neuf. Sauf à avouer son impuissance ou trahir un certain affolement, le chef de l’État ne pouvait corriger son plan de relance de 26 milliards, à peine entré en vigueur. Son silence sur la crise des Antilles, sujet sur lequel il est resté depuis étrangement discret, renforce encore le sentiment de déconnexion du pouvoir face à la montée du chômage et à la récession économique.

En regard de la suppression annoncée de la taxe professionnelle en 2009 – une mesure qui bénéficiera uniquement aux entreprises et risque d’aggraver les difficultés financières des collectivités locales avec des répercussions inévitables sur leurs investissements et services publics –, Nicolas Sarkozy n’avait, ce 5 février, qu’un rendez-vous à proposer aux partenaires sociaux, les cinq confédérations de salariés « représentatives » (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC et CFTC) et les deux organisations patronales (Medef et CGPME). En ouvrant ces discussions, le chef de l’État voulait gagner du temps. En programmant une nouvelle journée interprofessionnelle de grève pour le 19 mars, les syndicats le lui ont accordé. Il est toutefois peu probable que ce délai calme la contestation.

Car les cinq mesures « sociales » qui figuraient au menu de la rencontre de mercredi ne sont pas de nature à révolutionner la politique du gouvernement. Ni la baisse d’impôt en faveur du « bas de la classe moyenne » , qui pourrait prendre la forme d’une suppression du 2e tiers provisionnel dès cette année, ni l’aide aux chômeurs de moins de 25 ans et aux salariés en fin de CDD, ni le « coup de pouce » aux allocations familiales des familles les plus modestes, ni les chèques emploi-service en faveur des personnes âgées et des mères célibataires, ni le nouveau partage des profits des entreprises en trois tiers égaux (investissement, actionnaires, salariés) ne sont de nature à satisfaire les revendications immédiates des mouvements sociaux qui se multiplient.
Cette multiplication des conflits ébranle le gouvernement en remettant en cause à chaque fois un aspect de sa politique. Peu de secteurs y échappent.

Que ce soit à La Poste, dans le monde judiciaire, parmi les professions de la santé, chez les travailleurs sociaux, dans l’université, la culture ou dans l’industrie, la contestation vise autant les réformes du gouvernement que les effets de sa politique. Et dépasse aujourd’hui largement le simple mouvement d’humeur. Car si ces mouvements semblent dispersés, la mobilisation du 29 janvier ou, à sa façon, « l’Appel des appels » témoignent d’une convergence de toutes ces luttes éparses. Convergence sur la défense du pouvoir d’achat et de l’emploi. Mais aussi pour dénoncer les prétendues lois naturelles du marché et mettre en cause une vision sécuritaire des rapports sociaux.
Ce vent de fronde se traduit dans les sondages par une forte baisse des cotes de Nicolas Sarkozy, au plus bas depuis son arrivée à l’Élysée, et de François Fillon. Le président se voit reprocher de ne pas agir en profondeur et préférer la parole à l’action. Le sens même de ses réformes est remis en cause. Selon un sondage Sofres-Logica publié dans le Nouvel Observateur, la semaine dernière, 57 % des personnes interrogées estiment que les réformes engagées ne vont pas dans la bonne direction. Si le divorce entre le pouvoir et les Français n’est pas encore consommé, la rupture est déjà patente.
Après vingt mois, le quinquennat de Nicolas Sarkozy est à un tournant.

Face à la crise qui agit comme un révélateur, le roi est nu. Et sa seule consolation ne réside plus que dans sa certitude qu’il n’existe aucune alternative politique crédible. « Je reçois les critiques de tous ceux qui ont essayé » d’entrer à l’Élysée, a-t-il déclaré récemment, « s’ils avaient la bonne méthode, ça se saurait ! » Fort de cette conviction, le chef de l’État n’entend pas changer de politique. De méthode, oui. Mais certainement pas changer de ligne. Pas question pour lui de procéder à une relance de la consommation. Encore moins à des augmentations de salaire, même si cette revendication figure en tête des préoccupations des Français. Oubliée, la promesse d’une revalorisation du travail. La priorité reste l’investissement, seul capable aux yeux du gouvernement de préserver l’emploi.

À les écouter, les socialistes ne sont pas loin de partager le même point de vue. Certes, ils réclament aujourd’hui une relance de la consommation, mais il y a quelques mois encore les trois principales motions socialistes au congrès de Reims assuraient qu’il est nécessaire de produire avant de redistribuer. Renvoyant ainsi à des lendemains improbables la redistribution des fruits de la croissance.
L’urgence de l’heure est pourtant au partage des richesses, bien réelles, elles. Faute d’être entendu, ce besoin économique ne peut qu’aggraver la crise politique.

Politique
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