La fièvre du Chili noir

Christophe Kantcheff  • 12 février 2009 abonné·es

Tony Manero est le nom porté par le personnage de John Travolta dans la Fièvre du samedi soir. Au printemps 1978, le film sort sur les écrans, dans le monde entier. Y compris au Chili, celui de Pinochet, où Tony Manero fait des ravages, en particulier dans l’esprit de Raùl, 50 ans, qui s’identifie totalement à lui. Mâle dominant dans une pension de famille pauvre et déglinguée, où il a ses habitudes avec les femmes de la maison, Raùl (fortement interprété par un comédien très connu au Chili, Alfredo Castro) est un minable sans scrupule, totalement dénué du sens des responsabilités, indifférent à la dictature. Sa seule obsession est de bouger comme Tony Manero, d’être Tony Manero.

Le jeune ci­néaste Pablo Larrain, dont Tony Manero est le deuxième film, a opté pour un style très réaliste, caméra à l’épaule, gros plans pris sur le vif, image non léchée, avec quelques flous maîtrisés. Sans doute pour se garder de tout effet didactique. Car Tony Manero est une fable, une fable cruelle, d’une terrible noirceur. Il est tentant en effet de voir dans l’obsession de Raùl l’effet de la fascination que suscitent les États-Unis sur les « imaginaires colonisés », par l’intermédiaire d’un de leurs blockbusters. États-Unis qui, par ailleurs, furent de solides soutiens au régime de Pinochet. Ce n’est pas non plus un hasard si Raùl, danseur sans talent mais parfait petit autocrate, perd toute humanité et devient un tueur dès lors que son désir d’identification à Tony Manero est entravé. Brut, concentré, le film de Pablo Larrain est comme un pavé dans la mare de l’impérialisme américain.

Culture
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