Le spectre du protectionnisme

Gérard Duménil  • 26 février 2009 abonné·es

Les ministres du G7, réunis à Rome le 14 février, sont tombés d’accord pour faire front contre le retour du protectionnisme. Quand la production et l’emploi s’effondrent, la tentation est forte de se mettre à l’abri contre la concurrence des pays à bas coût du travail. Le retour du protectionnisme est déjà amorcé. La France déclare ne pas se sentir visée : « Protectionnistes, nous ? En aucune manière ! »,
« Il s’agit d’un prêt à l’industrie automobile. » La condition mise au soutien est, pourtant, le maintien de la production sur le territoire français. On s’y tromperait. Depuis des années, les États-Unis pratiquent un protectionnisme au coup par coup.
L’esprit savant des ministres du G7 est hanté par l’expérience de la crise de 1929. En 1930, donc avant le New Deal du Président Roosevelt, qui débuta en 1933, la première mesure prise aux États-Unis est connue comme la loi Smoot-Hawley, établissant des droits de douane très élevés sur les importations. Entre 1929 et 1933, la production totale états-unienne chuta de 27 % alors que les importations reculaient de 34 % et les exportations de 46 %. Nos économistes en tirent la conclusion simple : le retour au protectionnisme aurait aggravé la crise, mieux, il aurait causé la dépression.

Le protectionnisme ne serait-il pas également coûteux pour la minorité dont le néolibéralisme sert les intérêts ? Nos ministres prêtent tous les attraits au libre-échange. Depuis vingt ou trente ans, le libre-échange a été le vecteur de la mise en concurrence de tous les travailleurs du monde avec, à la clef, le nivellement par le bas des salaires et de la protection sociale. Les biens de consommation importés à bon marché ont nourri les profits alors que les pouvoirs d’achat sont restés bloqués, voire, dans certains pays, ont plongé. La liberté de faire du commerce et le libre mouvement des capitaux sont des conditions indispensables à l’activité des sociétés transnationales.
La contradiction créée par la crise est éclatante. Comment étendre le réseau de ses sociétés dans le monde et, simultanément, soutenir l’activité sur son propre territoire ? Faut-il choisir entre l’économie transnationale et l’économie nationale ? Avec le libre-échange, le néolibéralisme triomphant avait tranché en faveur de la première. Voilà le néolibéralisme en crise pris d’états d’âme !

Quant aux méfaits supposés d’un retour au protectionnisme, il vaut la peine d’y regarder de plus près. L’expérience de la crise de 1929 est plus riche que ce qu’on lui fait dire. À la veille de la crise, les grands pays d’Amérique latine comme le Brésil, l’Argentine et le Mexique sont profondément insérés dans la division impérialiste du travail, vendant des matières premières et des produits agricoles, et important des biens manufacturés. Survient la crise, les pays du centre réduisent alors leurs importations. La viande argentine pourrit dans les hangars. Mais à quelque chose malheur est bon. Ces pays découvrent qu’il existe une autre manière de se développer, en comptant davantage sur leurs propres forces. Les ressources nationales peuvent être utilisées localement. L’État s’en mêle, il s’agit de faire surgir une industrie nationale. Pourquoi importer ce qu’on pourrait produire sur place ? Cette stratégie s’appelle « industrialisation de substitution d’importations », ce qui signifie qu’on favorise l’émergence d’industries dont le produit se substituera aux importations. Un « modèle » est né. Il va être théorisé après la guerre et conduira le développement de ces pays jusqu’aux années 1980, où on lui trouvera, tout à coup, tous les défauts. Pourtant, en Amérique latine, la période qui va de la Seconde Guerre mondiale à 1980 a été marquée par une croissance beaucoup plus rapide que les décennies néolibérales. Puisque c’était l’objectif recherché, le néolibéralisme n’a aucune leçon à donner, et ce n’est pas lui qui aurait protégé la planète du productivisme.

Sans aucun doute, à court terme, le protectionnisme apportera sa dose
de misère. Mais pourrait-il signifier le repli de la mondialisation néolibérale ?
La Chine pourrait-elle découvrir une autre trajectoire vers ses ambitions ?
On se prend à rêver.

Temps de lecture : 4 minutes