Les non-dits du sommet social

La rencontre du 18 février entre le Président et les syndicats n’a pas pris en compte ­l’immense malaise des Français, qui déborde largement le cadre de la seule crise économique.

Pauline Graulle  • 26 février 2009 abonné·es

On s’y attendait, le « sommet » social de Nicolas Sarkozy aura accouché d’une petite souris : 2,6 milliards d’euros. À peine la moitié de ce que l’État débourse chaque année pour financer le bouclier fiscal. Légère augmentation de l’indemnisation pour faire avaler la pilule du chômage partiel, quelques centaines d’euros pour panser artificiellement la baisse du pouvoir d’achat, cadeau fiscal pour consoler l’électorat sarkozyste des classes moyennes modestes… Non seulement les « mesurettes » annoncées par Nicolas Sarkozy le 18 février paraissent très insuffisantes pour endiguer la crise, mais elles sont encore bien loin d’apaiser la colère des milliers de Français qui ont défilé le 29 janvier.
Car la crise économique masque une crise d’une tout autre nature. Une crise que le chef de l’État feint d’ignorer, et à laquelle les syndicats, divisés sur le fond, redoutent de s’attaquer de peur que ne vole en éclats leur fragile union de circonstance. Ce profond malaise s’incarne d’abord dans une crise des institutions : recherche, éducation, justice, santé, social…

Illustration - Les non-dits du sommet social

Les 2,6 milliards d’euros annoncés lors du sommet social ne peuvent suffire à endiguer la crise.
De la Mauviniere/AFP

« Ce qui était le socle du contrat social républicain, l’idée d’une identité française forte autour de la protection sociale et de l’État providence, est mis à mal par la politique de Sarkozy » , analyse Vincent de Gaulejac, professeur de sociologie à l’université Paris-VII. Résultat, ça craque de partout : « Les personnels hospitaliers, les enseignants et même les policiers se retrouvent dans des contradictions entre leurs valeurs de service public et les “réformes” qui introduisent une idéologie gestionnaire et managériale dans leur travail au quotidien. Cette idée de “faire plus avec moins” est mal passée car, implicitement, elle revient à dire que ces personnes ne faisaient pas correctement leur travail ! » , ajoute-t-il.

Et si Nicolas Sarkozy a eu, lors de son intervention télévisée du 18 février, un mot sur les « conditions de travail dégradées » et « le manque de considération » envers les fonctionnaires, c’est pour mieux réaffirmer le fait que seraient menées à leur terme les réformes imposant des logiques de compétitivité, de concurrence et de rentabilité à l’hôpital et à l’université. « Il faut revoir notre manière de concevoir le progrès, et plus généralement ce que nous faisons ensemble en société. Est-il encore possible de prendre en compte les évolutions de ce qui a une valeur mais pas de prix ? » , s’interroge la philosophe Dominique Méda, l’une des 70 000 signataires de l’Appel des appels (voir Politis n° 1038).

Il n’y a pas que dans les services publics ou chez les intellectuels que les dents grincent. « Beaucoup de salariés du privé ont manifesté pour la première fois le 29 janvier, souligne le sociologue Camille Peugny [^2]. Du jour au lendemain, les licenciements dus à la crise économique ont fait prendre conscience aux salariés, notamment les “déclassés” – plus nombreux que jamais –, que leur parcours professionnel ne relevait pas d’un échec individuel mais d’une histoire collective. C’est ce qui a fait basculer les gens du repli sur soi vers la rébellion. » Une révolte qui s’exprimera une nouvelle fois le 19 mars prochain.

[^2]: Auteur du Déclassement, Grasset, 2009.

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