Petits battants

Dans « Puisque nous sommes nés »,
Jean-Pierre Duret et Andrea Santana explorent les rêves et les cauchemars de deux adolescents dans le Nordeste brésilien.

Ingrid Merckx  • 5 février 2009 abonné·es

Quelle est la part de documentaire, quelle est la part de fiction ? Difficile de trancher. Les réalisateurs Jean-Pierre Duret et Andrea Santana ont passé six mois dans une station service d’une partie semi-aride et pauvrissime du Nordeste brésilien. Six mois à suivre les gamins qui zonent là-bas entre les camions, les pompes à essence et le semblant de campagne poussiéreuse aux animaux faméliques qui s’annonce de l’autre côté des barrières autoroutières. Entre les petits paysans de rien, les voyageurs gavés de malbouffe, les boutiques de fortune et les camionneurs. Entre leurs rêves et leurs cauchemars… Certaines répliques du film ont, selon toute vraisemblance, été préparées. « Tu sais qui tu es, Cocada ? » « Oui, je sais. » « Qui tu es ? » « Cocada ! Je suis ce que je suis. Mais je ne sais pas pourquoi je mens beaucoup. » « Il faut qu’on parte pour savoir qui on est. » À moins que les deux personnages principaux du film, Nego et Cocada, 13 et 14 ans, ne soient effectivement d’une maturité, d’une lucidité et d’un degré d’expression hors du commun.

Mais pourquoi pas, après tout ? Car le plus étonnant dans ce film, ce n’est pas qu’il reconstruise le réel, mais la manière dont il le reconstruit : en insistant sur les sourires des bambins de 3 ou 4 ans qui jouent joyeusement pieds nus et sales comme des peignes, évitant de justesse les semi-remorques lancés à pleine vitesse ou le cadavre d’un âne. En faisant chatoyer les couleurs vives des étals et en amplifiant le tohu-bohu des klaxons et des moteurs, de sorte à transformer la station service en gigantesque parc ­d’attractions. Et en relevant la prévenance des adultes que côtoient ces enfants. Aussi précaires soient-ils, mère de dix enfants de pères différents, tassés dans une baraque, ouvrier paysan qui se tue à la tâche, vendeur de bricoles en fauteuil roulant, chauffeur de car de passage ou camionneur jouant les pères adoptifs, tous distribuent des conseils édifiants aux deux ados et les orientent vers des projets d’avenir.

Aussi ce film ne propose-t-il pas la chronique désenchantée de jeunes en errance, travaillés par la tentation du suicide et l’absence de perspectives, mais l’exploration délicate (utopique ?) de ce qui peut se passer dans leurs têtes compte tenu de leur situation sociale, familiale et psychologique. Comment résistent-ils ? Et, surtout : à quoi rêvent-ils ? Nego et Cocada ne campent pas des olvidados mais des petits battants éclairés. À tel point que leurs échanges passent progressivement de la confidence à l’élaboration intime d’un projet identitaire et existentiel. L’air de rien, et sur une aire d’autoroute.

Culture
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