Sarkozy discute mais ne lâche rien

Encadrée par l’Élysée, la rencontre du 18 février montre les limites de la politique présidentielle pour répondre à l’urgence. Et laisse de côté les principales mesures proposées par les syndicats.

Thierry Brun  et  Pauline Baron  • 19 février 2009 abonné·es

Les organisations syndicales s’y attendaient, et l’Élysée avait tout fait ces dernières semaines pour délimiter les contours du sommet social de mercredi : il n’est pas question d’un virage qui passerait par un reniement des engagements présidentiels. La crise économique n’obligera pas Nicolas Sarkozy à revoir les principaux dogmes de sa politique, qui veut qu’entre l’emploi et les salaires le choix consiste à miser sur les exonérations de cotisations patronales et à justifier un abaissement du coût du travail.
Le changement de cap souhaité par les syndicats après la mobilisation réussie du 29 janvier, notamment une relance par les salaires, est pour l’instant exclu. Sans surprise, les huit organisations syndicales signataires d’une plateforme de revendications avaient déjà tiré les conclusions du « sommet social » après l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, en regrettant le maintien, « pour l’essentiel » , des orientations présidentielles. Et, à quelques exceptions près, les revendications syndicales présentées lors des réunions préparatoires au sommet ont été écartées des décisions mais aussi des « processus de négociation » lancés après le 18.

Illustration - Sarkozy discute mais ne lâche rien

Pour ne pas apparaître comme les perdants, les syndicats devront défendre leurs revendications lors de la manifestation du 19 mars.
Kovarik/AFP

Il y avait peu de terrain d’entente. Le fossé entre l’Élysée et les cinq confédérations invitées à la conférence sociale s’est creusé autour des divergences sur le financement de la politique sociale du plan de relance. Limitée à 1,4 milliard d’euros, fruit de l’hypothétique rendement d’un prêt de 25 milliards d’euros aux banques, la politique sociale du chef de l’État fait pâle figure comparée aux 365 milliards d’euros qui ont été rassemblés pour les banques, sans compter les deux rallonges récentes de 10 milliards chacune, et les 26 milliards injectés dans l’économie.

Une grosse part du financement promis est destinée à la prévention du chômage, avec une meilleure indemnisation du chômage partiel, et à la formation des salariés victimes de la crise. Ces choix d’accompagnement social sont « loin des attentes et des exigences portées par la mobilisation du 29 janvier » et de la déclaration intersyndicale du 5 janvier, affirment les syndicats. Ceux-ci insistent sur la multiplication des plans sociaux et les prévisions de l’assurance chômage, qui pronostique au moins 400 000 chômeurs supplémentaires en 2009 et 2010. La CGT souhaite « donner au comité d’entreprise un pouvoir suspensif sur les plans sociaux afin de dégager du temps pour faire des propositions alternatives » . FO exige un « moratoire sur les licenciements » . Et la réformiste CFDT s’accroche à son idée de « fonds d’investissement social » de 5 à 10 milliards d’euros permettant aux personnes privées d’emploi de se former en échange d’un revenu. Il serait financé par la « suspension » de la loi Tepa, exonérant totalement de prélèvements sociaux et fiscaux les heures supplémentaires, et du bouclier fiscal. Si cette « proposition est jugée très intéressante » par la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, le Medef n’y voit pas un « enjeu prioritaire » et renvoie au fonds d’urgence créé dans l’accord interprofessionnel sur la formation professionnelle. Secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly se dit plutôt favorable à « un retour provisoire au système des préretraites ».
Pour Solidaires, défendre l’emploi des salariés passe par l’arrêt des licenciements et l’indemnisation à 100 % du chômage partiel. « Ce n’est pas à eux de payer les conséquences d’une crise dont ils ne sont pas responsables » , affirme l’union syndicale. Autre piste : la réunion par le gouvernement « de commissions mixtes paritaires auxquelles les organisations syndicales et patronales ont l’obligation d’assister » , selon FO. « Ensuite, l’État peut soumettre les aides sociales aux négociations salariales et à la fin des délocalisations et des licenciements. » La CGT prend l’exemple de PSA Peugeot-Citroën, qui a reçu 3 milliards d’euros d’aides de la part de l’État et ne remettra pas en cause le plan de 3 550 départs volontaires annoncé fin 2008, ce que l’organisation syndicale considère comme des licenciements économiques de fait.

Parmi les « mesures de solidarité » destinées à ne fâcher personne, déjà acquises avant le 18, figure l’effort consenti en faveur des jeunes et des fins de CDD qui ne pourront prétendre à une indemnisation du chômage, ainsi qu’au « bas des classes moyennes ». Sur ce point, l’Élysée penche pour une hausse des allocations familiales sous condition de revenus et un « chèque emploi-service payé par l’État » pour les personnes âgées ou les familles monoparentales. On est très loin du compte, ont noté les syndicats, qui ont fait de la défense du pouvoir d’achat une des principales revendications de leur déclaration commune, qui est aussi celle des mouvements sociaux dans les départements d’Outre-Mer.

La CGT réclame « une revalorisation importante du Smic » et FO « un coup de pouce » , alors que 17 % des salariés perçoivent 1 037 euros de salaire net par mois. « La hausse du Smic serait un signal fort qui permettrait de réévaluer toute la grille salariale à la hausse » , juge Jean-Claude Mailly. « La première chose à faire » , selon Jean-Michel Nathanson, porte-parole de Solidaires, consisterait à augmenter « les salaires de 300 euros, les pensions, le RMI et les minima sociaux à 1 500 euros ». Cette aide à la consommation peut aussi se traduire par « une baisse de la TVA sur les produits de première nécessité » pour Solidaires, ou par « plus de proportionnalité du taux d’imposition et une meilleure répartition des richesses » pour FO. « Les gens en ont marre qu’on distribue de l’argent aux banques alors que certains n’arrivent pas à boucler leur fin de mois » , affirme Solidaires.

Le ministre du Budget et de la Fonction publique, Éric Woerth, a appelé « solennellement » les syndicats à « comprendre les contraintes » françaises et a réaffirmé l’objectif de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite. L’abandon des suppressions de postes dans la Fonction publique est resté non négociable. La déclaration commune des syndicats exige pourtant que, « dès 2009, le gouvernement renonce aux 30 000 suppressions de postes » . « L’État, employeur public, doit donner l’exemple aux entreprises » , préconise FO, qui souhaite la fin des suppressions de postes dans le secteur public. Les syndicats enseignants rappellent que 13 500 suppressions dans l’Éducation nationale ont été programmées dans le budget 2009, 900 pour les enseignants chercheurs. Pour Gérard Aschieri, de la FSU, il faut « abandonner les suppressions de postes dans la Fonction publique. C’est un geste que l’État, en tant qu’employeur, peut faire immédiatement » . Un appel solennel de tous les syndicats de la Fonction publique a été adressé à Nicolas Sarkozy en ce sens. Solidaires exige « des moyens supplémentaires dans les services publics afin qu’ils soient accessibles à toute la population ».

La grande question du partage des richesses dans l’entreprise, maintes fois évoquée par Nicolas Sarkozy lui-même, est renvoyée à des discussions entre partenaires sociaux, mais il faudra compter sur le patronat pour jouer la montre et ne rien lâcher. Les demandes de suppression du bouclier fiscal et d’abandon des mesures sur les heures supplémentaires ont reçu une fin de non-recevoir de Brice Hortefeux, ministre du Travail. Nicolas Sarkozy continuera de prôner le dialogue et de camper sur ses positions. S’ils ne veulent pas apparaître comme les perdants du sommet, les syndicats devront de nouveau défendre leurs revendications sur les salaires, l’emploi et les services publics lors de la journée de manifestation prévue le 19 mars, dont les modalités doivent être fixées le 23 février, par les huit organisations syndicales. D’ici là, le front syndical, qui souhaite préserver l’unité dans la durée, devra maintenir la pression dans les secteurs en crise, des Antilles aux universités, et là où l’emploi est sinistré, comme le souhaite la CGT, alors que l’Élysée et le gouvernement font le pari que la fièvre de la rue sera retombée.

Temps de lecture : 7 minutes