Un modèle aberrant

José Bové  • 19 février 2009 abonné·es

La politique agricole commune (PAC) mise en place en 1958 par le traité de Rome avait trois objectifs : l’autosuffisance alimentaire européenne ; la recherche d’une alimentation au coût le moins élevé possible pour les consommateurs, notamment par une organisation des marchés qui éviterait les trop grandes fluctuations des prix (le panier de la ménagère devait être préservé en permettant une alimentation satisfaisante du point de vue de la quantité et de la qualité) ; et l’harmonisation durable des revenus des paysans par rapport aux autres catégories sociales. Ce dernier point n’a jamais été atteint.

La situation empire car les politiques sont prêts à sacrifier des agriculteurs et leurs revenus pour obtenir une baisse du prix des produits dans les grandes surfaces. Une politique aberrante puisque presque tout le monde sait que cela ne réussit jamais, sauf pour faire disparaître des exploitations ou pour agrandir leur taille, et pour réduire les revenus des paysans en augmentant ceux de l’agrobusiness. Ce qui n’évite d’ailleurs plus les faillites, voire les suicides, dans ce secteur. Pour tenter de peser sur le pouvoir d’achat, le système met des paysans au chômage, ce qui se voit moins qu’un plan social ou la fermeture d’une usine. Les départs, les dépressions nerveuses, les dérives personnelles des paysans ne font jamais la une des journaux alors qu’il y a 20 000 nouveaux chômeurs paysans tous les ans . Il faut savoir que 30 % des agriculteurs vivent au-dessous du seuil de pauvreté, et qu’il y en a de plus en plus qui continuent vaille que vaille à cultiver en étant au RMI. Ce système porte préjudice aux paysans, au milieu naturel et aux consommateurs.

L’agriculture vit sous un modèle libéral dirigé par l’agro-industrie, qui écrase les plus faibles en les décourageant pour qu’ils renoncent à leurs terres et à l’espoir. La politique agricole qui s’affiche au Salon est conçue et s’exécute en faveur de quelques multinationales qui ne se préoccupent ni de la qualité de l’alimentation, ni de la santé des consommateurs, ni du pouvoir d’achat ou du destin des paysans. Il est facile de le constater, l’exemple est récent, sur la question du lait : des prix revus sans cesse à la baisse sans le moindre égard pour les éleveurs, qui n’ont plus leur mot à dire face à des coopératives qui deviennent des entreprises à la recherche de profits. Une guerre économique contre les paysans et contre leurs revenus puisque, à chaque réforme ou inflexion de la PAC, nous constatons une hémorragie supplémentaire du nombre des exploitations : nous ne sommes plus que 400 000, et des milliers de paysans quittent leurs terres chaque année.
Ne s’en sortent, sans que leurs revenus deviennent extraordinaires, que les paysans qui réussissent à établir un contact direct avec les consommateurs, par exemple avec les Amap.
Le modèle est aberrant et considère que plus un pays est moderne moins il doit garder de paysans : 3 % de la population active en France, moins de 1 % en Grande-Bretagne. Voilà la modernité suggérée : un seuil minimal de paysans. Nous imitons le modèle des États-Unis ou de la Grande-Bretagne. En pesant sur le revenu des paysans pour qu’ils se désespèrent, pour qu’ils partent « volontairement ».

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