Et maintenant ?

Denis Sieffert  • 19 mars 2009 abonné·es

On nous pardonnera de faire l’impasse sur la journée du 19 mars. Ou, plus précisément, de nous projeter en avant de ce grand rendez-vous des mécontentements pour tenter d’en deviner les prolongements. Le succès prévisible de ces manifestations nous paraît une telle évidence qu’il est vain de jouer au jeu futile des pronostics. C’est une affaire entendue : il y aura beaucoup de monde, ce jeudi, dans les rues de nos villes. Peut-être plus encore que le 29 janvier. Au soir, nous serons dans la situation singulière d’un pays qui désapprouve massivement la politique de son gouvernement, et qui n’en peut mais.
Le sociologue Frédéric Lebaron, qui nous livre son analyse dans ce journal, envisage plusieurs scénarios. Le premier n’est pas le plus dynamique, mais il est le plus probable. Secoués par le succès de leur propre initiative, les syndicats prennent date sans tarder pour un troisième rendez-vous dans la rue. On connaît le risque d’une telle stratégie : celui de lasser, et même de décourager. Faute de résultats concrets, les manifestants pourraient finir par rester chez eux. Ou se tourner, pour certains, vers d’autres formes d’action. Car le sentiment d’injustice, renforcé par ce que la crise révèle d’inégalités, est si fort que nous avons d’ores et déjà quitté le terrain de la protestation symbolique. Le sentiment d’impuissance ne se traduira pas par un simple renoncement. Les salariés de l’usine Continental de Clairoix illustrent assez bien l’état d’esprit général. On connaît l’histoire des ouvriers de cette fabrique de pneus de l’Oise.

Invités à travailler plus sans gagner plus – c’était pourtant en 2007, quand le slogan sarkozien renversait des montagnes – mais avec la garantie que leur emploi serait préservé, beaucoup d’entre eux ont accepté le marché qui leur était proposé. Un marché de dupes [^2]. Le 11 mars, on a appris aux 1 200 ouvriers de l’usine que tout était fini. Ce n’est pas tant le chômage qui exacerbe la colère que la duperie. Le même sentiment se propage à l’échelle de toute la société. Ce sont les milliards versés aux banques, les parachutes dorés, les bénéfices de Total, le paquet fiscal (dont le gouvernement tente laborieusement de minimiser les effets), les licenciements boursiers qui attisent les mécontentements. Ce n’est pas le chômage seul qui nourrit les grands ressentiments collectifs ; c’est le spectacle de l’injustice. La certitude que cela pourrait être évité si la politique était celle de la redistribution sociale et non celle des clans et des privilèges. Comme les ouvriers de Continental, beaucoup de nos concitoyens sont prêts à en découdre. Mais rien n’est jamais sûr. Et Frédéric Lebaron fait aussi l’hypothèse que le gouvernement pourrait lâcher du lest pour n’avoir pas à affronter une grogne généralisée d’une autre dimension. Des reculs significatifs offriraient alors au peuple une victoire mieux que symbolique. Hélas, lorsqu’on entend Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, manier la provocation en annonçant le non-paiement de jours de grève aux enseignants et chercheurs, et assortir cette annonce d’un commentaire bravache ( « C’est conforme au statut de la Fonction publique, auquel sont tellement attachés les personnels » ), on se prend à douter de l’intelligence politique de ce gouvernement. L’arrogance de certains de ses membres les rend aveugles et sourds à toute idée de compromis.

Après cela, que reste-t-il ? Une grève générale à la guadeloupéenne ? Un mouvement qui amalgame tous les mécontentements aux confins de la grève insurrectionnelle ? Car la transposition du schéma antillais à tout le pays poserait nécessairement une question politique au plus haut niveau. La politisation n’est le fait de personne. Pas même d’Olivier Besancenot, que François Chérèque, peu rassuré, vient de traiter de « rapace ». Le secrétaire général de la CFDT serait bien inspiré de chercher les rapaces ailleurs. Notre société n’en manque pas ! Car, en réalité, la politisation découle naturellement de l’étendue et de l’intensité du mouvement social. Une simple étincelle, aujourd’hui, pourrait hâter l’embrasement. Mais il ne suffit pas qu’une grève, fût-elle générale, gagne le pays pour que la solution politique apparaisse comme par enchantement.

L’« alternative globale », comme le note Frédéric Lebaron, n’existe pas. Ce n’est pas seulement que le Parti socialiste n’est pas prêt, comme le disait dimanche un sondage [^3] publié par l e JDD. C’est surtout que son « alternative » est à peine une « alternance ». Quant à la gauche de la gauche, elle n’est qu’au seuil d’un long processus. L’histoire nous enseigne que l’on peut « rater la marche du politique » et aboutir à une politique de Gribouille. Le mouvement de 68 n’avait-il pas viré au bleu horizon après les législatives du mois de juin ? Accessoirement, la situation actuelle renvoie à une autre réflexion sur cette institution qui vampirise toute notre vie politique et sociale. Cette présidentielle qui se joue à l’estomac. À coups de slogans publicitaires et de folles promesses. Pas vu, pas pris ! Il y a un tel décalage entre la nature de la campagne et le mandat dont se prévaut ensuite l’heureux élu pour dévaster toute une société que cela confine à l’escroquerie. Là aussi le constat est amer : il n’existe aucun contre-pouvoir. Et le sentiment de l’arnaque pèse lourd dans notre psychologie collective.

[^2]: Voir aussi l’article de Thierry Brun

[^3]: 23 % seulement des Français jugent que le PS a des réponses à la crise, selon un sondage Ifop paru dans le JDD du 15 mars.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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