La douleur de survivre

Deux pièces, l’une de Michèle Albo et l’autre de Jean-Claude Grumberg, évoquent la Shoah.

Gilles Costaz  • 19 mars 2009 abonné·es

Horreur non représentable de la Shoah. Pourtant, le théâtre est l’un des lieux où l’art peut parler de l’histoire dans un langage qui soit à la fois de transposition et de vérité. Vis au long de la vie, de Michèle Albo, ne cache pas sa volonté de pédagogie à l’égard des jeunes générations, mais tout est fait avec pudeur et un sens théâtral étonnant. La pièce raconte la vie de Violette Jacquet-Silberstein, qui, jeune fille, fut déportée à Auschwitz avec ses parents. Ceux-ci furent exterminés. Elle fut engagée dans l’orchestre du camp et ainsi survécut. Elle fut libérée par les troupes russes.

La mise en scène de Raymond Yana part de la structure en flash-back pour construire un spectacle dont les scènes sont des fragments de lumière trouant l’obscurité. Les mouvements d’un cadre en forme de mur de briques modifient l’espace à la manière d’un diaphragme. Sur le côté, Violette se raconte, mais son personnage de petite fille à Auschwitz est une marionnette. Ainsi tout fonctionne sur une ­double échelle, celle des acteurs-manipulateurs (Michèle Albo elle-même, Gaëlle Audard, Nicolas Naudet, Christophe Souron…) et celle des personnages de bois. Une musique de Bruno Girard enveloppe tous ces moments sans pathos. Les concepteurs du spec­tacle ont su inventer une mise au théâtre feutrée et bouleversante.

La Shoah hante aussi le théâtre de Jean-Claude Grumberg, à travers cette question qui est plus une douleur quotidienne qu’une interrogation dont on chercherait la réponse : comment vivre en se sentant coupable, alors qu’on n’est évidemment coupable en rien d’une tragédie qui a décimé les Juifs et frappé avec une cruauté indicible sa propre famille et ses amis ? La nouvelle pièce de Grumberg, Vers toi terre promise, imagine le voyage d’une famille juive. Le père, dentiste, n’en peut plus de vivre sous le poids du malheur produit par la Shoah et la disparition des siens. Par-dessus le marché, l’une des filles s’est convertie au catholicisme et s’est même faite religieuse, enfermée à vie dans un couvent ! Alors, où trouver le bonheur ? Peut-être en écoutant le cantique chrétien Vers toi terre promise et en gagnant la terre du « peuple élu ». Mais Israël n’est pas le paradis dont les Juifs rêvaient.

À part la dernière scène qui termine trop la soirée à la manière d’un sketch (mais c’est un choix de mise en scène, le manuscrit laissant en réalité la conclusion très ouverte), tout est porté par une écriture admirable. Ce ne sont que des blagues douloureuses, à hurler de rire et de chagrin. Les événements paraissent traités à la farce et, brusquement, un trait d’humour vous griffe ou vous renverse. La mise en scène de Charles Tordjman, le jeu de Philippe Fretun (immense acteur), Christine Murillo, Clotilde Mollet et Antoine Mathieu donnent toutes leurs nuances et tout leur éclat à ces mots qui subjuguent dans leur apparente simplicité.

Culture
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