« La fille du RER », d’André Téchiné

Christophe Kantcheff  • 19 mars 2009 abonné·es

Après avoir fait le récit de l’irruption du sida en France ( les Témoins , en 2007), André Téchiné s’est inspiré d’une étrange affaire qui défraya la chronique en 2004 pour faire la Fille du RER . Rappel de l’histoire : Une jeune fille accusa une bande de jeunes Arabes et Noirs de l’avoir agressée, lui entaillant la peau et lui traçant des croix gammées sur le ventre, dans un wagon du RER C, parce qu’ils la croyaient juive. Dans un contexte de résurgence des agressions antisémites mais aussi de surexploitation de l’accusation d’antisémitisme, l’annonce de ce fait divers, qui se révéla finalement avoir été inventé de toutes pièces par la jeune fille, fut l’objet d’un emballement médiatico-étatique proprement stupéfiant.

La société française telle qu’elle va (et ne va pas) est devenue une matière première du cinéma d’André Téchiné. Mais ici, ce ne sont pas les éléments publics de ce faux fait divers qui l’ont retenu. Le cinéaste ne s’est pas intéressé aux mécanismes irrationnels qui ont poussé médias et pouvoirs publics, jusqu’au président de la République de l’époque, à reprendre une accusation, dénuée du moindre début de preuve, comme une vérité gravée dans le marbre.

Ce qu’André Téchiné souhaite donner à voir : la jeune fille, Jeanne (Émilie Duquenne), sa vie, son milieu social et familial, les motivations de son mensonge, et les conséquences de celui-ci sur elle et son entourage. Un parti pris passionnant, parce que permettant de dépasser l’absence de pensée sur cette jeune fille, le cliché la réduisant à un esprit faible en mal de célébrité.

La fille du RER semble ainsi s’approcher d’une certaine réalité sociologique. Sa vie dans un pavillon de banlieue avec une mère trop présente (Catherine Deneuve) est par exemple très symptomatique de tous ces jeunes sans travail manquant cruellement d’autonomie parce qu’ils n’ont pas les moyens de partir de chez leurs parents. Et quand Jeanne est reçue pour un entretien d’embauche par un riche avocat, Samuel Bleistein (Michel Blanc), un ancien ami de sa mère perdue de vue de longue date, elle paraît inadaptée, dénuée des compétences nécessaires.

Jeanne n’est tout simplement pas encore une adulte. La chance de devenir une femme lui tend les bras – c’est le cas de le dire – quand un garçon, Franck (Nicolas Duvauchelle), s’éprend d’elle. Las, leur histoire se termine mal. Et André Téchiné sous-entend que l’une des raisons de son mensonge du RER, outre son déphasage social, peut être aussi cette déception sentimentale. Hypothèse plausible.

Mais d’où vient que le film laisse pourtant sur sa faim, malgré une mise en scène souvent élégante, et de jolis moments de tendresse, comme cette nuit que Jeanne et un adolescent (Jérémie Quaegebeur) passent dans une cabane à la campagne, où ils partagent leur condition d’enfants isolés, incompris ? Sans doute d’un trop grand éparpillement du récit qui ne se concentre pas suffisamment sur la personnalité et la psyché de Jeanne, mais raconte des histoires annexes (celle de la famille Bleistein, ou la rixe se terminant par la grave blessure de Franck) qui n’alimentent pas le récit principal. Du coup, le personnage de Jeanne n’est ni suffisamment dessiné ni suffisamment attachant pour que le spectateur puisse ne serait-ce qu’entrevoir sa vérité intérieure.

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