Le Front de gauche, combien de divisions ?

Denis Sieffert  • 5 mars 2009 abonné·es

Où en est-on à gauche de la gauche ? Comme le lecteur l’apprendra en se reportant un peu plus loin dans ce journal, les jours prochains seront décisifs. Que cela ne nous empêche pas de dire ici nos espérances et nos craintes. La langue française est ainsi faite que les unes et les autres tiennent dans la même interrogation : le Front de gauche, combien de divisions ? Autant dire que, pour une fois, c’est l’acception militaire qui aurait notre préférence… On connaît le champ de bataille : ce sont les élections européennes du mois de juin prochain. On connaît l’enjeu : la présence du « non de gauche » au Parlement européen. La présence de députés hostiles au traité de Lisbonne, et partisans d’une autre Europe démocratique, écologiste et sociale. Mais, au-delà, il en va de toute une dynamique qui pourrait aboutir à une recomposition du paysage politique à gauche. C’est donc un enjeu doublement démocratique. Qui comprendrait que cette partie de l’opinion française qui fut majoritaire lors du référendum européen de 2005 ne soit pas représentée à Strasbourg ? On peut aussi poser le problème différemment. Il s’agit de la représentation politique de l’immense majorité de ceux qui ont manifesté dans les rues de nos villes le 29 janvier, et qui s’apprêtent à recommencer le 19 mars prochain.

Peut-on imaginer un tel divorce entre les parlementaires, fussent-ils en l’occurrence européens, et la rue ? Inutile donc d’insister : les enjeux sont considérables. Pour notre part, au mois de mai dernier, nous nous sommes engagés avec l’Appel de Politis dans la voie de l’unité ( Nous tiendrons un bureau d’animation de l’Appel le 28 mars à Politis. ). Au long cours, avec un travail de convergence sur les idées ; et à échéance rapprochée, pour des listes unitaires aux européennes. Nous avons pu vérifier depuis dix mois combien cette démarche unitaire correspondait à l’aspiration de nombre de nos concitoyens. Où en sommes-nous aujourd’hui, en tout cas à horizon visible, c’est-à-dire dans la perspective des européennes ? Il apparaît assez clairement, à moins d’être obtus, que le Nouveau Parti anticapitaliste agit en fonction d’un autre agenda qui lui est propre. Ce choix peut se lire de plusieurs façons. Le NPA considère-t-il qu’il dispose du meilleur candidat pour la présidentielle, et qu’en attendant il s’agit de faire grossir les rangs de son mouvement ? Ou qu’il doit créer avec ses futurs partenaires un rapport de forces qui lui sera totalement favorable ? Ou encore que les joutes électorales ne sont pas si importantes, et que l’essentiel se joue ailleurs ? Après tout, ce qui se passe aux Antilles et se prépare peut-être pour le 19 mars peut légitimer ce point de vue. Quoi qu’il en soit, il y a peu de chances de voir à brève échéance le NPA rallier un front de gauche.

Et pourtant ce Front existe, Marie-George Buffet et Jean-Luc Mélenchon en sont convaincus. Le PCF et le Parti de gauche (PG) sont d’ailleurs engagés dans une série de meetings en commun. Après Frontignan et Marseille, ils font escale ce dimanche au Zénith, à Paris. Le dynamisme et la force de conviction de Mélenchon font à chaque fois merveille. Bien entendu, le leader du PG et les responsables communistes multiplient les déclarations pour nous convaincre que la porte est grande ouverte à un élargissement du Front. À qui ? Au NPA, si celui-ci change d’avis. Aux Alternatifs, qui représentent pour nous une famille importante, moins par leurs effectifs (mais on ne voudrait pas les désobliger) que par leur apport déjà très ancien au débat, à la croisée du social et de l’écologie. Ce point de rencontre qui est le berceau même de Politis . Aux Collectifs antilibéraux, issus de la dernière présidentielle, et qui correspondent aussi à des sensibilités et surtout à des formes d’organisation nouvelles, et à une force réelle. Tous ces courants, et quelques autres, dont la gauche des Verts (Écosolidaires et Alter Ekolo) et l’association des Communistes unitaires, ont constitué au mois de décembre une Fédération. Or, celle-ci, c’est le moins que l’on puisse dire, peine à se faire reconnaître, notamment du PCF. Dans l’entourage de Marie-George Buffet, on n’apprécie guère d’avoir à négocier avec des communistes qui revendiquent une double appartenance. Et pourtant cette complexité reflète assez bien les évolutions et les débats d’aujourd’hui, y compris sur les formes mêmes d’organisation. La direction du PCF décidera-t-elle de passer outre, au nom de la nécessaire unité, et de l’intégration dans le futur processus de femmes et d’hommes de valeur ? Ou bien campera-t-elle sur ses positions ? Notre souhait est connu. Mais nous ne sommes ni des donneurs de leçons ni des conseilleurs. Tout au plus peut-on espérer que chacun prenne la mesure des enjeux évoqués plus haut. Évidemment, on peut toujours s’en tirer en affirmant que la mobilisation ne dépend pas d’alliances « au sommet ». Mais nul n’ignore que la mobilisation n’est jamais indifférente à l’offre, et que l’unité est, selon la formule, un « puissant levier ». La question reste donc entière : le Front de gauche, combien de divisions ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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