Les agents des fraudes sous contrôle

Le gouvernement prépare le démantèlement de la Direction générale de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes. Au détriment du consommateur.

Jean-Claude Renard  • 12 mars 2009 abonné·es

Un matin, à l’ouverture d’un magasin de confection. Un homme présente sa carte professionnelle, barrée des couleurs tricolores. Agent de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). C’est la période des soldes. Il vient vérifier les baisses annoncées sur les affiches et les étiquettes. Il y a six semaines, en période non promotionnelle, il était déjà venu relever les prix des différents articles. Ce jour, il contrôle donc l’exactitude des remises annoncées. Ici 20 %, 30 %, là 50 %. Il compare, calcule. Il en profite aussi pour vérifier la qualité des articles, la conformité des textiles, la justesse des étiquetages.

Illustration - Les agents des fraudes sous contrôle

Un contrôle de la DGCCRF dans les cuisines d’un restaurant à Deauville. Sont notées la fraîcheur des produits, l’hygiène des lieux, etc. Daniau/AFP

Un autre jour, un autre agent. Dans un petit supermarché parisien, il confronte la publicité et la réalité des prix affichés, observe les conditions d’hygiène dans les rayons frais, en viande et poisson, la véracité des labels et appellations d’origine (une viande dite charolaise provient parfois d’Allemagne), il visite les chambres froides, épluche les factures, les bordereaux de livraison, les prix d’achat, de vente, les remises. En d’autres circonstances, toujours de façon inopinée, il traque la pratique de la remballe, qui consiste à habiller d’un nouvel emballage les produits dont la date limite de consommation est proche ou atteinte. « Une pratique courante chez certaines enseignes de la grande distribution. » Non pas ponctuelle mais permanente, organisée sur le long terme. On regarde donc de près les cahiers de contrôle qualité, on fouille les poubelles contenant les informations nécessaires, remplies de vieilles étiquettes. Dans ce cas d’infraction, « délit de tromperie », après saisie des marchandises pour analyses, la difficulté est de cibler les responsabilités, moins l’employé contraint que le directeur ou le gérant.

Voilà à quoi peut ressembler la journée des agents de ce service public qu’est la DGCCRF. Le lait infantile contaminé par la mélamine, c’est eux. Les contrats abusifs des opérateurs de téléphonie mobile, c’est eux. Les pratiques illicites des agences immobilières, sur les prix affichés et les transactions, c’est encore eux. Idem pour les risques des cheminées à éthanol. Ils sont (presque) partout. Qui surveillent du coin de l’œil les pratiques déloyales, comme le trafic des compteurs, chez les garagistes, l’intrusion d’OGM dans les aliments ou la vente de produits de contrefaçon. Le respect des normes sanitaires dans les grandes surfaces, le respect de la loi chez les assureurs comme chez les serruriers.
Pour le coup, c’est une présence qui rassure, contrôlant à son initiative ou bien à la suite de plaintes des consommateurs.

Procéduriers, tatillons, à cheval sur les principes et les règles, arc-boutés sur la loi, cadors des poids et mesures, surtout quand un produit met en avant la santé. D’une enquête à l’autre, ils occupent très sérieusement le rôle d’experts mâtinés de Colombo, de Monsieur Duchemin extirpé de l ’Aile ou la cuisse, façon Hercule Poirot. Traqueurs d’arnaques, de falsifications, d’abus, gavés comme une oie de déontologie, de scrupules. Qui possèdent une pertinence des terrains et à la fois des compétences économiques, juridiques, techniques et scientifiques.

Sous l’égide des ministères des Finances, de l’Économie et de l’Industrie, jusqu’à aujourd’hui, la DGCCRF est une administration centrale composée de bureaux techniques et réglementaires auxquels s’ajoutent ceux rattachés aux enquêtes, et de services déconcentrés (des relais au niveau régional et départemental). Une direction qui s’adosse également à un réseau de laboratoires d’analyses et de recherches. Dans la défense et la protection du consommateur, elle agit et réagit sur trois volets. D’une part sur le contrôle d’une concurrence loyale (notamment les relations entre la grande distribution et les fournisseurs, la détection des pratiques anticoncurrentielles). D’autre part, elle vise à assurer la protection économique du consommateur (la publicité mensongère, par exemple, ou le démarchage à domicile).

Enfin, elle est chargée de veiller à la qualité et à la sécurité des produits alimentaires, industriels et des services (l’hygiène des restaurants, la conformité des jouets, les matériels électriques, entre autres). La DGCCRF a ajouté à ses missions un rôle de prévention et d’information auprès des consommateurs. Une évidence : c’est là un service public au service du public. Et tout le monde est concerné, au quotidien, quelles que soient les classes sociales, la géographie.

Mais voilà la DGCCRF remise en cause et bouleversée dans ses fonctions et ses missions. Fin décembre 2008, en guise de cadeau de fin d’année ou d’étrennes, dans le courage d’un crabe hésitant entre les fêtes de Noël et du Nouvel An, François Fillon, sous forme de circulaire, a annoncé une réforme de la DGCCRF. L’administration sera placée sous l’autorité hiérarchique directe des préfets, intégrant ainsi la future direction départementale de la protection des populations. Officiellement, c’est une question d’économie budgétaire. Dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), résultant de la mise en place de « conseils » technocratiques, sous l’égide du Premier mi­nistre et du président de la République, la DGCCRF va subir 250 suppressions d’emploi entre 2009 et 2011. Des suppressions mal venues quand le ­nombre de dossiers et de plaintes s’accroît chaque année (110 000 plaintes ont été déposées à la Direction en 2007, soit 46 % de plus qu’en 2006). Avec quels moyens pour y répondre, étant donné la masse de travail ? D’autant que les agents sont déjà pliés « à la dictature des statistiques, souligne Jean-Jacques Neyhouser (CGT), avec des contrôles superficiels, des enquêtes qui ne sont pas menées au bout, faute de temps et de moyens » . Foin de l’efficacité, donc.

On peut aussi se demander si cette réorganisation se fera pour le bien des consommateurs ou à leur détriment. Les salariés de la DGCCRF et les syndicats à l’unanimité (CGT, CFDT, SNU Solidaires et FO) ont déjà répondu, à travers grèves, manifestations et une pétition en ligne. Le contrôle départemental, déconnecté des enquêtes menées sur l’ensemble de la France, suivant les mêmes critères et une vision d’ensemble, serait-il plus efficace, aussi rapide ? On en doute. Cette réforme n’a pas d’autre effet qu’isoler les unités de contrôle, rompant le lien fonctionnel entre une administration centrale et le terrain. Mais, surtout, elle comprend en elle-même d’autres conséquences, plus inquiétantes, dans les creux d’une politique libérale, de pair avec la suppression du juge d’instruction et la dépénalisation du droit des affaires. Sachant que la DGCCRF se place régulièrement au cœur des intérêts économiques, qu’en sera-t-il des cas délicats, passibles de poursuites judiciaires ? Que peut-on espérer d’une structure dont l’activité sera dictée par ce qui gêne ou non les décideurs locaux ? La DGCCRF exerçant sous la houlette des préfectures, ne risque-t-elle pas d’assister à quelque conflit d’intérêts autour des préfets, soumis aux pressions des élus et des acteurs économiques locaux ?
C’est un service public de plus qui est cassé ici. On peut avoir une idée de quel côté penchera la balance en cas de conflits. In fine, c’est une bonne nouvelle pour les entreprises, de nouveaux gages, et un consommateur perdant qui devra se contenter d’une aide a minima.

Société
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