Attention, un pirate peut en cacher un autre !

Après deux attaques contre des bateaux de plaisance français, nos médias découvrent les pirates du golfe d’Aden.
Ce sont pour la plupart des pêcheurs affamés par la pollution maritime.
Une pollution admise et parfois organisée par des armateurs sans scrupule.

Denis Sieffert  et  Claude-Marie Vadrot  • 23 avril 2009 abonné·es
Attention, un pirate peut en cacher un autre !

Presque un an jour pour jour après l’affaire du Ponant , l’équipage d’un autre voilier français, le Tanit , a été pris en otage au large du Golfe d’Aden [^2]. On connaît l’épilogue de cette triste affaire. Le 4 avril, un commando français de la Marine a donné l’assaut, tuant trois des preneurs d’otages. Un plaisancier français a trouvé lui aussi la mort dans l’échange de tirs qui s’ensuivit. Cette fois, comme il y a un an, les pirates ont été présentés comme un nouveau fléau des temps modernes. À l’égal des « terroristes », ils sont devenus l’incarnation d’un mal absolu, dépourvu de toute explication rationnelle.

Pourtant, il n’est pas impossible de prendre le problème par un autre bout. Car avant d’être le nouveau paradis de la flibuste, le golfe d’Aden est d’abord devenu l’enfer des pêcheurs somaliens. Cette mer qui débouche du goulet de Djibouti et s’ouvre vers l’océan Indien, entre la côte sud du Yémen et le nord de la Somalie, est le dépotoir mondial du transport maritime. Vingt mille navires de commerce passent par là chaque année, après avoir emprunté le canal de Suez, et nombre d’entre eux laissent dans leur sillage une trace indélébile. Délestés de containers et de fûts, ils répandent tout près des côtes des produits répertoriés récemment par le très sérieux Programme des Nations unies pour l’Environnement. Dérivés de plomb, de cadmium, de mercure et autres produits chimiques mal identifiés s’y mélangent plus ou moins bien à des déchets hospitaliers, à des produits de traitement des métaux ou du cuir, quand ce ne sont pas des déchets radioactifs retrouvés par les experts du Pnue un peu plus au sud, aux abords du Kenya. Liste non exhaustive. Les conséquences de ces délestages sauvages ne sont guère étonnantes.

Au fil des ans, les pêcheurs somaliens ont constaté que, de plus en plus ­nombreux, des poissons aux nageoires rongées venaient s’échouer sur les plages. Les comportements de certaines espèces ont changé. Les tortues de mer qui, autrefois, regagnaient le large après la période de la ponte, aujourd’hui se réfugient sur la rive. Dans la population, des maladies nouvelles sont apparues : affections respiratoires, hémorragies abdominales, cancers de la peau, qui ont fait des centaines de morts. Certains navires de commerce n’hésitent pas à débarquer une partie de leurs déchets, notamment des produits phytosanitaires périmés depuis des années, qui sont ensuite enfouis avec la complicité de chefs de guerre obtenant rétribution en contrepartie.

Résultat : de nombreux points d’eau sont empoisonnés, et l’on retrouve les cadavres de troupeaux de bétail, vaches, chèvres ou chameaux, mais aussi d’animaux domestiques ou sauvages. À l’origine de cette hécatombe, des pesticides depuis longtemps interdits en Europe et aux États-Unis. Ces déchets – ceux qui sont largués en mer comme ceux qui sont enterrés – font l’objet de trafics organisés par une branche de la mafia italienne, spécialisée dans cette industrie d’un genre particulier. Le prix des déchets éliminés illégalement est compris, dit-on, entre 25 et 35 euros la tonne, alors que le coût d’une élimination légale se situe entre 250 et 350 euros pour la même quantité. Étrangement, les navires militaires étrangers qui croisent au large de la Somalie n’ont jamais procédé à une quelconque vérification sur les navires pollueurs. Trente-quatre bateaux, français, américains, japonais, britanniques et italiens patrouillent pourtant dans la zone.

Les Occidentaux qui crient à la piraterie ne répugnent pas à laisser faire les trafics qui permettent depuis des années aux chefs de bandes armées de s’approvisionner en armes et en 4X4. Avec, surtout, l’argent qui leur est versé par les intermédiaires représentant les navires poubelles. Il est vrai qu’aujourd’hui la piraterie maritime est devenue un commerce plus rentable que la pêche, au large des côtes de la Somalie. L’activité est même en train de s’étendre beaucoup plus au sud de Mogadiscio, la capitale. Quelque 17 navires sont actuellement « retenus » avec environ 250 marins de toutes nationalités à leur bord. Mais, comme on le voit, dans cette affaire, les pirates ne sont peut-être pas toujours ceux que l’on croit. D’autant qu’un autre secteur économique est en train de prospérer sur cette flibuste des mers du Sud. La Lloyd’s de Londres propose désormais un nouveau produit aux armateurs dont les navires fréquentent ces eaux troublées du golfe d’Aden et de l’océan Indien : une assurance « antipirates de la mer ». Un produit qui connaît un succès miraculeux.

[^2]: Notons au passage, que lors de l’affaire du Ponant, les militaires français ont capturé les « pirates » sur le sol somalien en toute illégalité. Le ministre de la Justice et le président de la République se sont ensuite prévalus, pour embastiller les pirates en France, de « l’accord » des autorités somaliennes. Sans autre précision. Et pour cause : il n’existe pas d’autorités somaliennes. Il n’y a donc jamais eu d’accord, et les Somaliens incarcérés en France (sans parler le français, dans un isolement linguistique et culturel total) le sont en toute illégalité.

Publié dans le dossier
La cause des Roms
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