François (Bayrou) est un peu munichois

Sébastien Fontenelle  • 23 avril 2009 abonné·es

La « démagogie », ça commence à bien faire.
D’accord : le patronat licencie. D’accord : le patronat délocalise. Mais tout de même : il n’est pas tolérable que [des peigne-culs prolétariens] des salarié(e)s poussent l’effronterie jusqu’à séquestrer leurs employeurs, et que d’infâmes démagogues les encouragent « à répondre à la violence » que leur fait le capitalisme par « cette contre-violence que serait la chasse aux patrons » . Tel est du moins l’avis de Bernard-Henri Lévy, réputé romanquêteur – qui a sur [l’arrogance de la plèbe] sur la question sociale un point de vue au moins aussi autorisé que celui de Laurence Parisot, et qui l’exprime sans détours (dans le Point, le 16 avril).
Entre deux violences (qu’il met tranquillement sur un même plan), on l’aura compris : Bernard, comme on l’appelle sur [les chaînes de montage de Sandouville] chez Grasset, a fait le choix (courageux) de fustiger celle des [brutes ignobles] salarié(e)s qui ont récemment retenu pendant quelques heures une demi-douzaine de chefs d’entreprise, plutôt que celle des chefs d’entreprise qui ont récemment jeté à la rue des milliers de salarié(e)s. (On dira ce qu’on voudra : rien n’est plus beau qu’un clerc qui [trahit] s’engage.) Car, il convient de l’énoncer avec force : « Il n’y a qu’un pas entre les séquestrations sages d’aujourd’hui  (…) et le passage à la “vraie” violence ».

Dès lors, Bernard en est certain : « Les irresponsables qui, comme Olivier Besancenot, voient dans la séquestration une forme de lutte des classes » (de même d’ailleurs que « les suivistes », genre Aubry ou Bayrou, qui « acceptent d’y voir » la réaction de salarié(e)s poussé(e)s à bout ), non seulement « jouent avec le feu » , mais s’apprêtent, éventuellement, à nous livrer à la soldatesque allemande. En effet : « “La compréhension” pour les formes sauvages de la colère sociale » de type séquestratif  mène, d’après Bernard, « à la célébration, étape par étape, de la délation, de la terreur dans les mots et, un jour, à Munich, du passage à l’acte et au sang » – comme l’a montré, au lendemain de Mai 68, la hideuse dérive ultragauchiste d’une abominable camarilla sinophile.

Je résume, pour le cas où d’aucun(e)s n’auraient pas assimilé ce flamboyant raisonnement : l’attention portée aux employés(e)s viré(e)s qui séquestrent leurs employeurs mène tout droit à Munich, et si tu me crois pas, Raymond, t’as qu’à regarder ce qui s’écrivait dans la Cause du peuple en 1971. Donc : François Bayrou est, d’une certaine manière, déjà lancé sur la pente savonneuse qui précipite vers Vichy. Voilà ce que j’appelle de la philosophie concrète.
Alors bien sûr, précise Bernard, qui n’est pas (du tout) du genre à nous affoler pour rien : « Nous n’en sommes pas là. » (Ouf.) Même : «  Il serait […] i rresponsable de faire l’amalgame entre, d’une part, un sabotage de ligne de chemin de fer, une tentative de guérilla urbaine à Strasbourg ou une séquestration chez Caterpillar, et, d’autre part, le vent de pure folie qui, dans la France d’il y a trente-cinq ans, soufflait sur les esprits. » (Écrit le gros penseur, qui mitonne au passage l’un des amalgames les plus indignes de l’histoire de la presse.)
Mais tout de même, il serait bon que le (petit) personnel politique cesse promptement de manifester de l’indulgence pour les grévistes (plutôt que pour le patronat dégraisseur) – et qu’il fasse définitivement allégeance au Medef : c’est quand même la démocratie qui est en jeu dans cette affaire.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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