Large Méditerranée

Le Festival international du cinéma méditerranéen de Tétouan, au Maroc, qui s’est déroulé du 28 mars au 4 avril, a donné à voir
un certain état du monde. Reportage.

Christophe Kantcheff  • 16 avril 2009 abonné·es
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On a frisé l’émeute. À l’entrée du cinéma Avenida, les vigiles suent à grosses gouttes, ce mercredi 1er avril, pour refréner la foule des jeunes Tétouanais voulant assister à la projection du premier long métrage de fiction signée par l’enfant du pays, Mohamed Chrif Tribak, dont l e Temps des camarades est en compétition. Plus tard, ceux qui auront eu la chance d’entrer dans cette splendide salle de mille places, aux allures Art nouveau, ne manqueront pas de manifester leur satisfaction avec force applaudissements et sifflements. Le succès est incontestable. À l’heure des récompenses, le film remportera d’ailleurs le prix du public. Son sujet est pourtant extrêmement sérieux : les années de plomb au Maroc, quand, après 1990, les islamistes pointaient leur nez dans les universités du pays. On y assiste, par exemple, à une joute verbale entre étudiants de clans opposés où Marx et Hegel sont convoqués – l’une des séquences au demeurant les plus réussies. Le Temps des camarades dénote une belle énergie de cinéma, qui donne envie de suivre ce que sera le parcours du jeune cinéaste marocain.

Toutes les projections du Festival international du cinéma méditerranéen (FICM) de Tétouan, dont la 15e édition s’est tenue du 28 mars au 4 avril, n’ont évidemment pas donné lieu à de tels mouvements de foule. Cependant, les habitants de cette ville du nord du Maroc, entourée par les montagnes noires du Rif, semblent apprécier la manifestation, les salles connaissant pendant la durée du festival une fréquentation continue.
Dans son QG installé à l’Institut national des beaux-arts, Ahmed El Housni, le directeur du FICM, aime à en raconter l’histoire. Créé en 1985 dans cette ville universitaire, le festival, longtemps bisannuel, s’est très vite ouvert au cinéma méditerranéen, sous l’influence de Youssef Chahine, l’un des premiers cinéastes hors Maghreb à avoir été invité, en 1987, et où, plus tard, l’Émigré fut projeté en avant-première quand le film était encore interdit en Égypte. Ce n’est pas un hasard si, lors de cette édition 2009, quelques mois après sa disparition, le FICM lui a consacré un bel hommage.

À l’origine du festival de Tétouan, on trouve un groupe de cinéphiles, formés dans le réseau des ciné-clubs marocains, politiquement marqués à gauche (dont certains d’ailleurs, comme Ahmed El Housni, connurent les prisons du roi). Aujourd’hui, l’association des amis du cinéma de Tétouan continue à jouer un rôle important dans la programmation. Mais, désormais, la logistique et la communication sont assurées par une agence privée, spécialisée dans l’organisation d’« événements ».

Est-ce pour cette raison – pour « créer l’événement » – qu’Ahmed El Housni évoque la perspective de faire venir des stars, ce qui non seulement n’est pas l’orientation actuelle, mais exigerait des investissements en termes d’accueil (les meilleurs hôtels sont loin du centre-ville) ? Peut-être. « Il faut que le festival se professionnalise davantage » , préfère dire son directeur. Ce qui exige quoi qu’il en soit une augmentation du budget. Après une mauvaise passe en 2003, et l’implication de l’État, qui a permis de sauver le festival, son budget est aujourd’hui de 6 millions de dirhams (600 000 euros), alimenté à 70 % par l’argent public via le Centre du cinéma marocain (l’équivalent de notre CNC), les ministères de la Culture et de la Communication, la ville et la Région, et à 30 % par le privé. C’est cette part du sponsoring privé qu’Ahmed El Housni espère à l’avenir voir progresser. Ce qui entraînerait vraisemblablement un changement d’image du festival.

Pour l’heure, celui-ci reste convivial et décontracté. Passant d’une série de courts à un long métrage de fiction ou à un documentaire, le festivalier est amené à circuler entre les trois salles qui participent à la manifestation – le cinéma Avenida, le Théâtre espagnol et sa très belle devanture hispano-mauresque, et l’Institut français. Dans la section « documentaires », souvent très politiques et signés par de jeunes réalisateurs, pour beaucoup du Maghreb et du Proche-Orient, se sont côtoyés des films instrumentalisant le cinéma pour faire passer un message et d’incontestables œuvres aux fortes résonances. Parmi celles-ci, le Chaos créatif : premier round, du Libanais Hassan Zbib, tourné au sud Liban juste après la guerre de 2006, en particulier avec sa mère, femme courageuse et sage, dont la maison est par chance restée debout. Et le superbe One Man Village , de Simon El Habre, libanais également. Comme le titre l’indique, le cinéaste a filmé le quotidien du seul homme à être retourné vivre dans le village de montagne où il a grandi, que tous les habitants ont fui pendant la guerre civile. La quiétude et la solitude assumée de cet homme recouvrent une déchirure intérieure qu’il préfère taire, mais que d’autres anciens habitants, revenus pour l’occasion, racontent. Un film sensible sur la mémoire meurtrie [^2].

Grecs, espagnols, italiens, tunisiens, turcs, marocains, algériens, bosniaques, et même roumains, les films présentés au festival de Tétouan viennent de tous les pays méditerranéens (et même d’un peu plus loin), de la France aussi, cette année représentée notamment par un court métrage de Foued Mansour, l a Raison de l’autre , aux allures loachiennes pour sa thématique sur le chômage, ses acteurs formidables, et la maîtrise de la mise en scène. Mais tous les pays de la Méditerranée sont-ils vraiment présents ? En manque un : Israël. « Ici, c’est impossible , reconnaît Ahmed El Housni. C’est une question de drapeau. Nous avons déjà programmé un film d’Amos Gitaï, mais produit par la France. » Quand, à Tétouan, la Méditerranée s’élargira encore, c’est que le monde, sans doute, se portera mieux.

[^2]: Le film de Simon El Habre est projeté le 17 avril à 20 h au Goethe-Institut, 17, av. d’Iéna, 75016 Paris, dans le cadre d’un programme Berlinale à Paris.

Culture
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