L’art sous les chars

Au carrefour des civilisations antiques, Gaza regorge de sites archéologiques aujourd’hui meurtris par le conflit.

Jean-Claude Renard  • 23 avril 2009 abonné·es

La mosquée Al Omari. La partie la plus ancienne alterne marbre et calcaire. Trois étapes tra­versent l’édifice. D’abord une cathédrale érigée par les croisés. Transformée en mosquée par les mamelouks. Plus tard encore, les Ottomans ont ajouté une autre pièce à l’édifice. La mosquée, bénéficiant des fonds de l’Unesco pour sa restauration, a subi les coups de la première Intifada. Les travaux ont alors été paralysés par les tirs israéliens. Avant, pendant, après.

C’est l’objet de ce documentaire réalisé par Jean-Gabriel Leynaud, ­puisant dans l’histoire. Sous les pierres de Gaza se veut une confrontation du passé et du présent, faite de lieux saints, de sarcophages, d’amphores, de cruches, de colonnes et de bombardements. De la prospérité ancienne aux turbulences contemporaines.

Voilà Gaza telle qu’on ne la connaît pas. Cité égyptienne, byzantine, grecque puis romaine. Gaza, c’est une ville prodigue, l’inventaire d’une archéologie, une identité plurielle qui s’enorgueillit de sites datant de plus de trente siècles. Avant d’avoir un port, célèbre jadis pour ses cultures, ses vignes, ses vergers rebondissant sur les terres sableuses. Où se bousculaient, à l’époque romaine, une foule de philistins, de Grecs, de Cananéens, de Phéniciens, de Juifs, d’Égyptiens, de Bédouins. Les céramiques de la ville restent les témoins de ces rencontres improbables, témoins d’un commerce international entre l’Occident et l’Orient (l’or de Rome transitant par Gaza), lieu de mixités, de brassages, de passages sur la route des épices et de la soie.

De fouilles d’urgences en fouilles de sauvetages, les archéologues tentent de reconstituer le puzzle. En composant avec les missiles qui tombent sur la ville, recouvrant l’histoire de blocs de béton. En composant avec les chars, qui parfois roulent délibérément sur les mosaïques byzantines constituées de pierres de roche, de granit, de marbre, de basalte, de quartz. Des chars écrasant non pas le patrimoine palestinien mais le patrimoine mondial. À l’écran surgit une rupture entre l’image de ces archéologues arc-boutés sur un travail minutieux, effleurant le matériau, jouant du pinceau fin sur les petits pavements de mosaïques dans un monastère, et la fureur des tirs. Même fracture entre l’archéologue filant au turbin et un poste militaire qui rechigne devant un laissez-passer.

Ultime interrogation, tandis que les mômes batifolent avec un cerf-volant : comment les blessures actuelles de Gaza seront-elles interprétées par les archéologues de demain ?

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