Le goût des monstres

Du Néron racinien à Médée vue par Anouilh,
les criminels d’antan continuent à nous fasciner.

Gilles Costaz  • 30 avril 2009 abonné·es

Sans doute n’avons-nous pas assez de personnages monstrueux dans l’actualité ! Les monstres d’antan continuent à nous accompagner, mythologiques ou historiques. Entre les horreurs du quotidien et les terreurs culturelles, à nous de choisir ! Britannicus, de Racine, par exemple, c’est un sacré micmac de haines, de passions et de ­meurtres, avec Néron aux commandes. La mise en scène qu’en donne Jean-Louis Martin-Barbaz au Théâtre 14, et qui s’achève prochainement, mérite d’être signalée car voilà une équipe qui n’a pas peur de la tragédie classique, l’empoigne dans un double mouvement d’élégance et de violence, maintient sans cesse l’émotion sous la rigueur de la cérémonie. Jean-Christophe Laurier (Néron), Alberte Aveline (Agrippine), Hervé Van der Meulen (Narcisse), Patrick Simon (Burrhus), Antoine Rosenfeld (Britannicus) et Vanessa Krycève (Junie) sont les beaux interprètes de ce spectacle qu’on espère voir repris un jour prochain.

Et Médée ! Une meurtrière de haute volée puisqu’elle liquida ses deux mouflets pour se venger de l’homme, Jason, qui l’avait quittée. On ne s’en passe pas non plus. En un lointain festival d’Avignon, Jacques Lassalle et Isabelle Huppert tentèrent en vain de nous convaincre que la tueuse était une simple et attachante héroïne de fait divers, même en gardant le texte d’Euripide. À la Comédie de Picardie, à Amiens, mais à présent au Vingtième Théâtre, à Paris, où le spectacle vient d’arriver, c’est une Médée d’une autre sensibilité qui surgit. Ladislas Chollat – l’un des metteurs en scène les plus doués de la nouvelle génération – a choisi, lui, le texte d’Anouilh, qui se libère beaucoup des données antiques. Anouilh fut un méchant droitiste mais son obsession du mal et de la pureté, associée à un sens diabolique du dialogue, ne lui fit pas toujours écrire de mauvaises pièces.

Cette Médée oubliée est pourtant aussi touchante que l’ Antigone du même auteur. Dans sa cruauté, elle a une part d’innocence, une immaturité que n’a pas le monde féroce qui l’entoure. C’est du moins ce que Chollat met très bien en lumière. La tragédie se passe de nos jours sous un ciel étoilé. Une remorque occupe une partie de cet univers bleuté où fume le foyer de quelques nomades. Un peu gitan, un peu forain, tel est le climat de cette nuit où Médée va commettre l’irréparable : Médée jouée dans un feu de braises douces par Élodie Navarre, belle et poignante sorcière aux jambes peintes et blottie dans sa peau de lapin. Autour d’elle, les hommes ont la solennité répugnante ou la placidité déplaisante : Créon interprété par Gildas Bourdet portant le chapeau et la cravate du notable, Jason incarné par Benjamin Boyer, qui, en costume bleu nuit, se fond dans l’obscurité. Il n’y a que les femmes qui écoutent la vérité du cœur : Médée et la nourrice joliment interprétée par Sylviane Goudal.

Sans doute le dernier tableau, où Médée parle debout sur le toit de la caravane, sacrifie-t-il trop à une volonté de spectaculaire. Mais la soirée saisit bien les secrets et les ombres derrière la beauté d’un étrange tableau nocturne.

Culture
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