« Nous sommes des gens de rien »

Conditions de vie déplorables, expulsions régulières : l’agglomération nantaise illustre le quotidien réservé aux Roms. Reportage à Sainte-Luce, où dix-huit familles sont sommées de quitter les lieux avant la fin du mois. La peur, la fatigue et la méfiance hantent les visages.

Jean-Claude Renard  • 23 avril 2009 abonné·es

Un ciel grisâtre qui s’effiloche dans la tristoune. Des carcasses de poussettes, des Caddies déglingués, des matelas défoncés, des bidons, un amoncellement de conserves, de tôles froissés, des bâches, une chaussure par ci, une peluche par là, des guenilles, des bris de verre, des bouteilles en plastique par centaines, des bonbonnes de gaz en pagaille. Le bric et broc d’un quotidien précaire dégagé à coups de tractopelles. Quelques rats cherchent la bonne pente.

Ce paysage apocalyptique s’étire le long de la route boueuse de Sainte-Luce, dans l’encolure de Nantes. Il dit l’expulsion dans l’urgence. Celle d’une petite communauté de Roms arrivée en 2006, constituée d’une trentaine de familles, qui s’est déplacée une dizaine de fois depuis, sur un faible périmètre, peu construit, plutôt maraîcher, où s’élèvent encore une casse, une fourrière, des entrepôts abandonnés. Les Roms ont passé l’hiver ici. Sans électricité ni eau, chauffés aux bonbonnes de gaz. Les familles se sont dispersées aujourd’hui alentour, entre Rezé et Chantenay, au gré d’une topographie discrète. Une souffrance silencieuse.
À Nantes Métropole, il existe seulement trois terrains administrés par les pouvoirs publics : les Sorinières, dans la périphérie sud ; la Fardière, sous le pont de Cheviré ; et Sainte-Luce, dans l’est. Ils rassemblent environ 350 personnes, bénéficiant d’un suivi social. Ce sont des espaces clos, rassurants face à l’agressivité extérieure, où l’accueil reste à la méfiance, où les mômes fondent sur les jupes maternelles ou bien pédalent autour des caravanes.

À côté, un millier de Roms errent dans l’agglomération, s’établissent au sauve-qui-peut, entre rocades et décharges. Défendus tant bien que mal par les associations, bénéficiant d’aides financières à la subsistance mais ballottés ici et là. D’improbables en improbables. Cythères inaccessibles. Continuellement. À une encablure de l’Atlantique, d’un déplacement l’autre, il ne reste plus qu’à les jeter à la mer.

« On est des gens de rien » , dit l’un d’eux, l’un des rares à parler français. C’est un stress permanent. « Où aller, où dormir ? Travailler ? De temps en temps, on fait le ramassage de fruits et légumes ; au printemps, ce sera le muguet. Rien de plus. Même dans le bâtiment, c’est difficile, à cause de la langue et des consignes de sécurité qu’on ne parvient pas toujours à lire. » Ce dernier hiver a été marqué par des procédures d’expulsion simultanées, des menaces de Nantes Métropole, de la police. Épuisés, les Roms avaient organisé fin février un rassemblement devant la mairie, administrée par Jean-Marc Ayrault. Seule revendication, un terrain décent, moyennant un loyer, et la fin des harcèlements. Pas grand-chose en somme. Requête restée sans réponse. Aujourd’hui, et après ­quatre ans de vie sur le site de Sainte-Luce, les dix-huit familles sont priées de quitter les lieux le 30 avril. En attendant, les femmes et les enfants continuent de charrier des bouteilles de flotte, pour boire, cuisiner, faire une lessive.

Publié dans le dossier
La cause des Roms
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