Un alibi caritatif à deux sous

Un opérateur privé met en place un timbre à 20 centimes pour les envois en nombre des ONG. Un avant-goût de l’ouverture complète du marché postal, où la concurrence risque de s’exercer au détriment des usagers.

Thierry Brun  • 23 avril 2009 abonné·es
Un alibi caritatif à deux sous

l’argument paraît convaincant. Sans attendre la libéralisation totale des services postaux, un opérateur privé fait campagne en proposant un ­timbre low cost à 20 centimes d’euro. Une prouesse accompagnée d’un slogan racoleur : « Un timbre français à 20 centimes, c’est possible ! » Et le produit, dit « caritatif », s’adresse au secteur associatif, surtout aux grandes ONG et aux fondations, grandes consommatrices de mailings pour leurs collectes de fonds.

L’idée vient d’Alternative Post (AP), une PME lyonnaise qui dispose de 12 centres de distribution du courrier et touche 8 millions d’habitants (14 % des foyers), et du Suisse Actimail Group, un réseau international d’agences spécialisées dans le marketing direct, filiale d’un groupe de communication du nom de Faircom. Et les deux entreprises sont parties à l’assaut du marché postal en revendiquant l’argument de la fibre philanthropique pour développer la concurrence tous azimuts.
Alternative Post a en effet trouvé une astuce pour contourner la réglementation postale, qui a pour l’instant limité l’ouverture à la concurrence aux envois d’un poids supérieur à 50 grammes. L’entreprise a tout simplement supprimé l’adresse et l’a remplacée par un code GPS (localisation par satellite). Cette technologie permet ainsi de distribuer du courrier de moins de 50 grammes « sans enfreindre la réglementation, selon l’avis de l’autorité de régulation (Arcep) » , jurent les dirigeants de l’opérateur postal. Ce qui fait que celui-ci est déjà présent dans la distribution « d’envois adressés en nombre » hors du champ caritatif, en proposant des timbres à 0,24 euro.

La trouvaille d’Alternative Post est le sésame pour accéder au marché le plus important et le plus convoité de la distribution des courriers de moins de 50 grammes : les envois adressés représentent près de 14,8 milliards d’euros en 2007, dont 8,6 milliards pour les seuls envois de correspondances (lettres, publicités adressées, etc.), indique le rapport 2008 de l’Observatoire des activités postales. Mais l’ouverture complète de ces marchés postaux, promise initialement en 2009, a été repoussée au 1er janvier 2011.

Très pressés d’occuper le terrain, Alternative Post et Faircom-Actimail se sont plaints de la « lenteur dans le développement de la concurrence dans le secteur postal » et font référence à un rapport de la Commission européenne rendu en décembre 2008. D’où leur volonté d’associer marques et organismes caritatifs avec un système d’affranchissement à bas coût « pour tous courriers jusqu’à 35 grammes » . Ainsi, expliquent-ils, « l’offre “AP Caritatif” permet une réelle percée dans le monopole détenu par La Poste, et ceci au profit des organisations non-gouvernementales ».

Facturé 0,20 euro, « sans quantité minimum » et « en rationalisant le tri et les tournées » , l’affranchissement défie toute concurrence, en particulier celle de La Poste, dont le tarif varie de 0,28 euro pour les envois publicitaires en nombre à 0,56 euro pour les lettres. Seule condition imposée par Alternative Post : toutes les associations pourront bénéficier du service si elles entrent dans le processus « industriel » mis en œuvre par l’opérateur privé, explique Yannick Chevillon, président de la holding qui détient Alternative Post.

La distribution aura donc désormais son « timbre caritatif » à prix discount pour concurrencer un service public postal déjà en voie de privatisation. Nul doute que les grands opérateurs postaux privés (Deutsche Post, Royal Mail, TNT, Adrexo, etc.) s’engouffreront dans la brèche le moment venu de la libéralisation complète du secteur postal. Ce que propose Alternative Post est un avant-goût de la concurrence féroce qui a déjà lieu dans d’autres pays européens. Une clientèle y trouvera son intérêt, mais, avec la logique de rentabilité qui s’imposera, les usagers risquent d’y perdre beaucoup.

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