Un milliard d’affamés

La crise alimentaire a aggravé le drame de la faim. Pourtant, aucune mesure efficace de régulation du marché des matières premières n’a encore été adoptée. Les explications d’Ambroise Mazal*.

Ambroise Mazal  • 9 avril 2009 abonné·es

Il y a un an, le monde assistait médusé à la multiplication des « émeutes de la faim » dans 38 pays en développement, à la suite de la hausse des cours mondiaux des matières premières agricoles. Ces consommateurs pauvres manifestant contre la vie chère venaient s’ajouter aux masses rurales silencieuses qui constituaient jusque-là la majorité des affamés : en 2007, les trois-quarts des 850 millions de personnes souffrant de la faim étaient des paysans !

De fait, avec 963 millions de personnes recensées en décembre par la FAO [^2], c’est un individu sur six dans le monde qui souffre de la faim de façon durable, et un sur trois de malnutrition. Trente millions meurent chaque année des suites de la faim, soit un chiffre plus élevé que celui des victimes de guerre. Cette situation marque la faillite de la communauté internationale pour lutter efficacement contre ce fléau, malgré les proclamations répétées, notamment en 1974([^3], en 1996 [^4].) et à travers le premier Objectif du millénaire pour le développement (qui fixait la division par deux du nombre d’affamés entre 2000 et 2015).
Les émeutes ont révélé la dépendance alimentaire des pays vis-à-vis des importations agricoles pour approvisionner leur population. En Afrique, cette dépendance est paradoxale : le continent dispose d’un potentiel foncier et hydraulique considérable, ainsi que d’un potentiel humain fabuleux. Cependant, l’agriculture familiale et vivrière, majoritaire mais silencieuse, est abandonnée à son sort par ses gouvernements. Le renforcement de la société civile y est ainsi un enjeu majeur.

S’ils ont aujourd’hui quitté les sommets, les prix restent élevés et légèrement supérieurs à 2007 ; et les quelque 120 millions de personnes supplémentaires ayant sombré dans la faim ne verront pas leur pouvoir d’achat se rétablir. Surtout, la baisse des prix est due à une excellente récolte céréalière mondiale (+5,3 %) marquée par l’absence d’accident climatique, ce qui a peu de chance de se reproduire. Les populations vulnérables des pays du Sud ne doivent leur salut qu’à ce hasard, tandis qu’aucune mesure n’a été adoptée par la communauté internationale en termes de régulation des marchés pour éviter la volatilité des prix, de lutte contre la spéculation, ou d’investissement agricole.

La hausse brutale ainsi que la volatilité record des cours mondiaux ont effrayé les pays structurellement importateurs et disposant de réserves de devises (pays du Golfe, tigres asiatiques, Chine…), qui avaient jusque-là recours au marché mondial pour s’approvisionner. Face aux prévisions d’une hausse des prix durable, et en l’absence de politiques et d’outils internationaux de régulation des marchés mondiaux, ces pays font aujourd’hui le choix de diversifier leur approvisionnement en ayant recours à l’achat de terres à l’étranger et à leur mise en culture pour leurs propres besoins.

Ce phénomène d’accaparement des terres dans les pays du Sud s’illustre par le cas médiatique de l’entreprise coréenne Daewoo, qui a projeté de louer près de la moitié des terres agricoles à Madagascar. Il est appelé à continuer et à s’étendre dans les prochaines années. Des préoccupations sont permises quant aux rapports qui vont alors s’instaurer entre les investisseurs et les populations rurales locales.

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[^2]: En décembre 2008. Début 2008 : 850 millions, septembre : 925 millions

[^3]: Avec notamment la création du Fond d’investissement pour le développement agricole.

[^4]: Lors du Sommet mondial de l’alimentation (Rome

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Alimentation : Bien manger, manger tous
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