Ces minuscules envahisseurs

Introduites par hasard ou par légèreté dans des écosystèmes
qui les ignoraient, certaines espèces en perturbent gravement l’équilibre, proliférant sans opposition.

Claude-Marie Vadrot  • 14 mai 2009 abonné·es

Une espèce est dite invasive quand elle est introduite dans un milieu naturel qui n’est pas son milieu d’origine et que son développement nuit aux autres espèces, et donc à la biodiversité locale ou nationale. Définition qui vaut aussi bien pour une plante, un insecte et un champignon parasite que pour un mammifère ou un oiseau. Le problème n’est donc pas que l’espèce soit « étrangère » mais qu’elle peut contribuer, ayant trouvé une niche écologique, à faire disparaître des espèces autochtones. Ce n’est pas toujours le cas puisque les scientifiques considèrent que seule une espèce introduite sur cent devient envahissante.

Ainsi l’arrivée de la genette au Moyen Âge, apportée en France d’Afrique du Nord par les Sarrasins, ou du Moyen-Orient par les Croisés, n’a pas perturbé l’écosystème du territoire français, où ce petit carnivore s’est naturalisé et est devenue une espèce protégée par la loi. En revanche, le ragondin, importé d’Amérique du Sud à partir de la fin du XIXe siècle pour sa fourrure, a fini par s’échapper dans la nature et fait partie des espèces exotiques à problèmes : creusement des berges, grignotage des récoltes et destruction des œufs de nombreux oiseaux nichant à terre. Et l’écrevisse rouge de Louisiane est un véritable fléau : en colonisant par millions les plans d’eau, comme ceux du parc naturel de Brière ou de la réserve du lac de Grand-Lieu, elle entraîne la disparition de l’espèce européenne et stérilise les lacs et les étangs, où elle dévore tout. Sans s’attaquer, hélas, à une plante aquatique, la jussie, importée pour orner des bassins et des aquariums et qui, relâchée dans la nature, se multiplie à l’infini, encombrant les plans d’eau et les rivières. Difficile de l’éliminer puisqu’un seul tronçon de tige suffit pour qu’elle recolonise les eaux par bouturage.

Toujours pour orner un bassin, un châtelain des environs de Bordeaux importa en 1967 une dizaine de grenouilles-taureaux originaires de Floride – ce qui est interdit depuis la fin des années 1970. La bestiole trouva l’écosystème français à son goût ; elle pèse près de 500 grammes, avec une espérance de vie d’une dizaine d’années (moins qu’en Floride), elle a envahi tout le Sud-Ouest et continue à progresser, dévorant tout sur son passage : poissons, petites tortues, oiseaux et les autres grenouilles. En Floride, elle est régulée par les alligators, qui n’existent pas (encore) en France.

La mondialisation, en accélérant le rythme des échanges, facilite la venue de ces espèces, tout comme les modifications climatiques qui favorisent l’installation de plantes, d’insectes ou d’oiseaux auparavant incapables de résister à l’hiver. L’exemple des perruches échappées des cages qui commencent à se multiplier inquiète les spécialistes, tout comme celui des écureuils de Corée et des herbes ou algues apportées par les bateaux.
Le phénomène des plantes et animaux invasifs, qui a ses origines dans la recherche d’exotisme des jardins et des parcs particuliers du XIXe siècle, a pris une telle ampleur que l’Europe a lancé un programme de recherche et d’observation pour mesurer le phénomène. Premiers résultats publiés en avril : plus d’un millier d’espèces envahissantes, un préjudice de plusieurs milliards d’euros, la constatation que l’invasion vient juste après le réchauffement climatique dans les menaces contre la biodiversité, mais aussi la certitude que nul ne connaît de solution miracle.

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