Controverses

Bernard Langlois  • 7 mai 2009 abonné·es

Le Cardinal

En ce lundi matin, où je me colle à mon ouvrage hebdomadaire, on parlait beaucoup, dans les radios, du sieur Dieudonné. Ça faisait longtemps. Il était question de lui interdire de se présenter aux élections européennes (dont tout le monde se contrefout par ailleurs, notez, sauf les candidats) à la tête d’une liste « antisémite » pour les uns (Fogiel sur Europe, par exemple), « antisioniste » pour d’autres (Drouelle sur Inter, notamment). C’est le très puissant Claude Guéant, dit « le Cardinal », qui a fait savoir qu’on étudiait la question en haut lieu – sa possibilité légale, car on est quand même encore en République, non ?
Ce qui laisse entier le problème de la qualification de l’éventuelle liste en question : antisioniste ou antisémite ?

On sait que depuis quelque temps (en gros depuis que l’opinion, jadis acquise à Israël, est peu à peu devenue pro-palestinienne, devant l’évidence des souffrances et des injustices subies par un peuple écrasé sous le joug d’un État colonial et raciste), la tendance (lourde), sur la pression du lobby sioniste, est d’assimiler les deux termes. Histoire de discréditer la légitime critique de l’État voyou en question en lui collant l’infamante étiquette. Cette bataille sémantique, sur laquelle il convient de ne pas céder un pouce de terrain, est menée notamment par cette institution soi-disant représentative de la communauté juive française, devant laquelle la quasi-totalité de la classe politique française se croit obligée de se prosterner rituellement. Le Crif, pour ne pas le nommer – et pour prendre un seul exemple, que suggère une pénible actualité : le procès de Fofana, l’assassin d’Ilan Halimi –, avait organisé, à l’époque des faits, une manifestation. Le crime était crapuleux, mais la jeune victime étant juive, on pouvait soutenir la thèse d’un acte nourri du préjugé antisémite : juif = riche (du reste, dans le box, la petite frappe qui régnait sur son « gang des barbares » confirme que son acte était bien dicté par sa haine du juif).
L’organisation d’une manifestation contre l’antisémitisme était donc justifiée.

Zélotes

Mais voilà, le Crif ne peut pas s’en empêcher, un deuxième mot d’ordre s’ajoutait au premier : le soutien indéfectible à Israël.
Ce qui rendait évidemment impossible qu’on puisse se joindre à un cortège pratiquant ainsi l’amalgame, même si on partageait l’indignation devant le crime et qu’on reconnaissait la composante antisémite de sa motivation (un certain nombre de nos concitoyens juifs dénoncèrent du reste vivement cet amalgame et organisèrent un deuxième cortège, qui, lui, ne mélangeait pas tout : on peut, oui, être antisioniste sans être le moins du monde antisémite – ou judéophobe, comme on a tendance à dire aujourd’hui).
Et cette évidence, que les zélotes d’Israël ne cessent de nier en faisant de nous des quasi-complices du génocide nazi, doit être défendue bec et ongles.

Provocation

Donc, Dieudonné M’Bala M’Bala et sa liste aux européennes. Antisioniste, comme il l’affirme (avec son compère Alain Soral – qui a navigué du PC au FN), ou antisémite, comme Guéant l’a soutenu au micro d’une radio communautaire [^2] ?
J’ai longtemps pensé que l’humoriste, venu à la politique par un cheminement écolo et antiraciste, était fermement antisioniste, mais sans doute pas anti-juif. Je dois reconnaître qu’il l’est devenu, à force de provocations et de fréquentations douteuses : on ne se lie pas impunément avec Le Pen ou Faurisson. Certes, ses détracteurs l’y ont bien poussé tant, à force de se voir accusé de tous les péchés… d’Israël, on a tendance à leur donner raison, dans une ultime provocation : «  Vous me voulez tel ? Vous n’allez pas être déçus ! » Je pense qu’il y a de cela dans la posture de Dieudonné (ou de Soral, du reste), mais ça ne peut servir d’excuse. Nier que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts gazés dans des camps d’extermination pour la seule raison qu’ils étaient juifs est une saloperie ; et ce n’est pas insulter la mémoire des esclaves de la traite négrière que de le dire.
Pas plus que ça n’empêche de condamner l’État d’Israël, fauteur de guerre et bourreau du peuple palestinien.

Pharisiens

Doit-on pour autant lui interdire de « concourir au suffrage » , selon la formule consacrée ? Et surtout, le peut-on légalement ?
Le secrétaire général de l’Élysée ( « bon petit soldat du lobby sioniste » , selon Dieudonné) reconnaît que cela n’a rien d’évident : « Les pouvoirs publics sont en train de voir si ces initiatives tombent sous le coup de la loi. Je ne suis pas sûr que nous parvenions à les interdire. » M’Bala, ravi du coup de pub, rigole dans sa barbe : « Je pense que c’est absolument impossible d’interdire une liste, il faudrait faire voter une loi, et les délais sont extrêmement courts » , a-t-il déclaré à l’AFP. Et après tout, malgré tous les dérapages verbaux de son chef, a-t-on jamais interdit le Front national ? Il est donc vraisemblable que la liste officiellement antisioniste verra le jour et qu’elle ralliera un paquet de voix… antisémites. Le PS (par la voix de Benoît Hamon) n’a pas tort de voir dans l’offensive, sans doute sans lendemain, de Claude Guéant, une façon de faire monter une mayonnaise malodorante et propre à diviser le camp de la contestation – entendez : de piquer des voix à la gauche, où bon nombre de militants et d’électeurs sont révulsés par la politique israélienne et la complaisance que la classe politique lui manifeste. Au fait, vous voulez un exemple de cette complaisance ? La République française déroule en ce moment même le tapis rouge pour accueillir le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères d’Israël. Il s’appelle Avigdor Lieberman, ne dissimule nullement ses opinions d’extrême droite, souhaite l’évacuation des Israéliens arabes hors d’Israël, la noyade organisée en mer Morte des prisonniers palestiniens qui croupissent dans les prisons israéliennes, et recommande de traiter le Hamas avec la même fermeté que celle dont ont fait preuve les Américains envers les Japonais [^3] !
Après cela, ils vous diront tous (les sionistes de toute nationalité), la bouche en cœur, qu’ils sont pour la paix et la création d’un État palestinien. Pharisiens, sépulcres blanchis !

Quatrième

Depuis qu’il s’est interrogé, en 2005, sur les risques d’une nouvelle guerre mondiale (la quatrième, si l’on veut bien considérer que la Guerre froide fut la troisième), Pascal Boniface, directeur de l’Iris [[Institut de relations internationales et stratégiques
(<www.ris-France.org>.).]], et bien placé pour savoir les inconvénients qu’il y a à se frotter au lobby sioniste, considère toujours que le conflit israélo-palestinien est « l’épicentre d’un éventuel choc des civilisations » et que, par conséquent, sa non-résolution
– essentiellement du fait d’Israël – « menace de conduire le monde à la ruine ».
Quatre ans après sa parution, la réédition de son essai prend en compte deux faits nouveaux, et d’importance : aux États-Unis, l’élection de Barak Obama, et au Proche-Orient, l’offensive meurtrière contre Gaza, suivie des élections du gouvernement le plus à droite de l’histoire israélienne. «  Il faut s’attaquer de façon déterminée au règlement du conflit israélo-palestinien. Ce conflit, qui fut longtemps un parmi d’autres, est devenu la matrice d’un éventuel choc des civilisations. L’élection d’Obama fut une merveilleuse nouvelle pour ceux qui redoutent un tel choc […]. Mais la guerre de Gaza et des élections israéliennes, qui constituent une victoire pour la droite et l’extrême droite, sont venues assombrir la perspective [^4]. » Ce n’est certes pas le conflit israélo-palestinien qui préoccupe cet autre essayiste (celui-ci anonyme, ou plutôt celle-ci, puisque c’est une femme, qu’on nous présente comme « une éminente responsable du renseignement » , longtemps en poste dans des pays de culture islamique, puis « détachée auprès du service de renseignement extérieur de son pays » et actuellement en poste à Bruxelles « au sein d’une organisation internationale » ), il n’en est quasiment pas question dans son gros livre. « Enyo » (c’est son pseudo, une déesse grecque des batailles, paraît-il) parle aussi d’une quatrième guerre mondiale. Mais pour elle il ne s’agit plus d’une crainte : nous y sommes, depuis les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles. Et l’ennemi est parfaitement connu : l’islam et son djihad. Comment gagner la guerre ? C’est pour cette stratège, clairement convaincue de la réalité d’un choc des civilisations (qu’un Boniface espère encore, lui, conjurer) la seule question qui vaille. Selon elle, les Occidentaux ne savent pas y répondre, d’où le désastre annoncé [^5].
« Enyo » est assurément plus proche des néoconservateurs que des colombes démocrates : et si sa thèse ne convainc pas, son bouquin n’en est pas moins passionnant et bourré d’informations.

Courtisane

Mais bon : en ce deuxième anniversaire de l’avènement radieux de notre PP (Prince-Président), donnons la vedette à un ouvrage moins ambitieux, plus léger, et néanmoins fort bien torché. Fruit d’une enquête fouillée, Du rimmel et des larmes conte, dans le détail, la véridique histoire d’une courtisane qui a connu la gloire avant la disgrâce [^6]
. Rachida Dati est assurément, et pour un temps encore, un piètre ministre de la Justice (et pas pour rien dans l’actuelle explosion des prisons), mais un sacré personnage de roman. Carriériste sans scrupule, séductrice impénitente (et sachant, de son propre aveu, « coucher utile » …), menteuse, truqueuse, lâcheuse, « tueuse » au besoin – mais aussi fragile et vulnérable…
Mais lisez vous-même : celle qui fut un des plus parfaits symboles du sarkozysme première mouture (l’époque bling-bling) est désormais vouée (avant de rebondir ?) à un rôle de second plan.
Dans des élections européennes dont tout le monde se contrefout.

[^2]: Radio J, dimanche dernier.

[^3]: Discours tenu le 16 janvier dernier à l’université de Tel-Aviv : « Les Américains ont vaincu le Japon sans invasion terrestre, rendant une occupation superflue. » On sait comment ils s’y sont pris ! Le même sympathique personnage avait déjà préconisé l’emploi de la bombe atomique contre Téhéran ou le barrage d’Assouan. Dans la bouche d’Ahmadinejad, de semblables propos à l’encontre d’Israël font hurler tous nos bons apôtres !

[^4]: Vers la 4e Guerre mondiale ?, Pascal Boniface Armand Colin, 205 p., 18,80 euros.

[^5]: Anatomie d’un désastre, l’Occident, l’islam et la guerre au XXIe siècle, Enyo, Denoël, 423 p., 24 euros.

[^6]: Du rimmel et des larmes, Jacqueline Rémy, Seuil, 222 p., 17 euros.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 9 minutes