Entre l’accélérateur et le frein

L’Union européenne se veut à la pointe de la défense de l’environnement. Mais ses institutions productivistes et libérales freinent en permanence, y compris au Parlement, réputé le plus « vert » d’entre elles.

Patrick Piro  • 28 mai 2009 abonné·es

Vue de France, pays au rang européen très modeste pour la préservation de ses ressources naturelles, l’Union fait figure de locomotive environnementale, imposant un arsenal de textes sur l’eau, les déchets, les espaces protégés, les énergies renouvelables, etc. «  Heureusement qu’il y a l’Europe, juge Serge Orru, directeur général du WWF-France. Le Grenelle de l’environnement n’est finalement pour la France qu’un vaste rattrapage historique. »

Pour autant, le bilan environnemental de l’Europe n’est guère triomphant. S’il fait bien état du recul de certaines dégradations, aucune vraie bataille n’a été gagnée ces dernières années. En 2005, le WWF publiait un rapport sur l’empreinte écologique de l’Union : la ponction opérée sur les ressources par ses activités était 2,2 fois supérieure à la capacité biologique de son territoire. La pollution de l’air des villes a-t-elle été réduite ? Elle provoque toujours des milliers de morts prématurées chaque année. L’agriculture bio se banalise-t-elle enfin ? Les nouvelles tolérances du label européen la menacent (présence d’OGM jusqu’à 0,9 % par exemple). Des directives haussent régulièrement les obligations de recyclage des déchets, mais les quantités produites restent invariablement croissantes. La politique agricole commune a adopté la protection de l’environnement comme deuxième priorité, mais ne démord pas de son productivisme ravageur, etc.

« Les préoccupations environnementales pèsent de plus en plus, mais elles entrent en permanence en contradiction avec les règles libérales des institutions européennes, expose Gérard Onesta, vice-président Vert du Parlement, qui achève son troisième mandat d’eurodéputé. Tout ce qui contredit les principes de libre circulation des capitaux, des services, des matières et des personnes doit être démantelé. Même le meilleur des commissaires à l’Environnement doit s’y plier. » Un amendement sur les émissions de gaz à effet de serre sera combattu parce qu’il désavantage un ­secteur industriel, une subvention nationale pour les énergies renouvelables faussera la concurrence, une restriction à la circulation des poids lourds freine le commerce, etc. « C’est une bagarre de tous les instants. »

Plusieurs textes importants pour l’environnement ont emprunté des voies périphériques pour leur adoption. Ainsi, les promoteurs du règlement Reach sur les produits chimiques (voir p. 20), combattu jusqu’au bout par les industriels, se sont appuyés sur l’explosion des maladies déclenchées (ou soupçonnées de l’être) par des pollutions diffuses ([^2]). Le Parlement, qui n’a pas pouvoir de décision sur l’agriculture, est intervenu sur la réglementation OGM au titre de sa compétence dans le domaine de la consommation.
« Le droit environnemental de l’Union ne fait finalement qu’accompagner ou déplacer les désastres, tant que la gestion des ressources essentielles reste aux mains d’intérêts privés, constate une note du mouvement Utopia, qui compte des militants dans plusieurs partis à gauche. Il correspond à une dépolitisation des normes, qui se réduisent à des paramètres techniques ou à des ratios économiques. »
Parmi les institutions de l’Union, le Parlement est réputé le plus « vert ». C’est souvent vérifié quand il ne s’agit que de déclarations et de rapports. Mais il obtiendrait aussi, selon certains eurodéputés, la modification «  dans le bon sens » d’un tiers du contenu des textes proposés par la Commission lorsqu’il lui est associé en codécision pour l’élaboration de textes.
Dans le détail, c’est variable. Ainsi le Parlement s’est-il montré moins ambitieux que Bruxelles sur la directive Qualité de l’air  adoptée en avril 2008, souligne Kestin Meyer [^3], de l’ONG Transport and Environment, installée à Bruxelles.
Les lobbies y sont pour beaucoup, relèvent les associations qui suivent les dossiers européens. Pour le règlement Reach, massif et complexe, une grande partie du travail associatif a consisté à démentir des informations erronées en circulation au sein du Parlement, telles les futures pertes d’emplois ou de bénéfices alléguées par les industriels, témoigne Mecki Naschke, qui a suivi le parcours du texte jusqu’en 2007 pour le Bureau européen de l’environnement ^4.
Et si la pression directe sur les parlementaires est insuffisante, elle remonte au niveau de la Commission ou des États. Le paquet Énergie-Climat a ainsi été « ficelé » à la suite d’une manipulation des plus flagrantes, signée Nicolas Sarkozy. Alors que la France présidait l’Union, il a obtenu en décembre dernier un accord du Conseil européen (qui n’a aucune prérogative législative), au prix de compromis considérables avec l’Allemagne (sauver les voitures), la Pologne (sauver le charbon) ou l’Italie (ne pas bouger), pour aller ensuite imposer au Parlement l’adoption du texte. « Faute de débat, la séance a même été suspendue, du jamais vu !, s’exclame Gérard Onesta, qui ne décolère pas contre ce “hold-up”. Le Parlement s’est castré, et nous avons perdu quinze ans. L’idéologie vieillissante a encore pour elle les règles du jeu… »
Le traité de Lisbonne modifierait en partie ces règles. De nombreux écologistes souhaitent ainsi son adoption [^5], arguant que le pouvoir du Parlement en serait renforcé, et son pouvoir de décision élargi, notamment aux domaines de l’agriculture, du budget ou du choix du président de la Commission. Mais, même si le futur Parlement comptait plus d’écologistes sur ses bancs, sa majorité parlementaire devrait rester lourdement dominée par les partis libéraux et productivistes.

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[^2]: Comme les cancers des enfants de moins de 12 ans, en croissance de 1 % par an en Europe.

[^3]: Dans Metamorphosis n° 53, avril 2009, publié par le Bureau européen de l’environnement ().

[^5]: Acquise si les Irlandais, qui revotent en octobre, disent « oui ».

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