Oh la belle ville !

Au Pérou, un documentaire sur la construction
de Villa el Salvador, cité égalitaire, concrétisation d’un rêve de pauvres.

Jean-Claude Renard  • 21 mai 2009 abonné·es

Années 1970. L’Amérique latine est gavée de feu, de sang, habillée de treillis, casquée, bâtonnée. Au Pérou comme ailleurs, l’armée a pris le pouvoir. Elle se dit en faveur du peuple, elle matraque dru sur les trognes pauvres. Les paysans se pressent vers la grande ville, perçue comme un éden possible. Les bidonvilles s’agrippent sur les collines alentour de Lima. En mai 1971, quelques-uns finissent par arracher au président Velasco un terrain, en plein désert, à une centaine de kilomètres au sud de la capitale. En une semaine, 100 000 personnes déboulent dans ce no man’s land . Des miséreux partis de rien pour arriver nulle part. Mais avec le bonheur peut-être d’avoir gagné le droit d’exister. Ce petit peuple baptise les lieux Villa el Salvador, la ville du sauveur. Il vise la cité idéale, libre, fraternelle, égalitaire. Vaste programme. En attendant, le premier point d’eau est à une heure de marche. Il n’empêche. La ville se dresse. Cabanes de paille et de carton. Affaire d’énergie.

Puis chaque famille reçoit une parcelle identique pour construire sa maison. Les bâtisseurs sont ouvriers, paysans, universitaires, marchands ambulants. C’est un mélange de classes sociales qui rêvent à voix haute, pleinement inscrites dans les utopies de la décennie, dans l’illusion de l’homme nouveau. Villa el Salvador se gère dans le partage des salaires et des besognes, l’éducation se veut populaire, la télévision communautaire, les cuisines sont collectives, à grands renforts de gamelles. Villa se distribue par quartiers, avec 380 maisons par quartier, dont chacun possède son parc, son école, son terrain de foot, son potager.

En multipliant les allers et retours entre passé et présent, Marina Paugam et Jean-Michel Rodrigo mettent en images la concrétisation d’un rêve, une histoire de solidarité dans les creux d’une ville qui grandit dans les batailles permanentes, le sauve-qui-peut. Anecdote de taille : en 1985, Villa reçoit la bénédiction du pape, quand précisément le pays est traversé par les violences et les répressions, la guérilla opposant l’armée au Sentier lumineux. Aujourd’hui, la ville compte 400 000 habitants, s’étire jusqu’aux portes de la capitale, compte une centaine d’écoles, trois universités et des élèves élus au conseil municipal. La cité est rentrée dans le rang d’une ville comme une autre. Reste la mémoire des pionniers qui veillent à entretenir et à diffuser une même pensée de solidarité.

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