Une protection peu rapprochée

Parcs nationaux et réserves naturelles constituent le fer de lance des politiques de préservation de la nature. Au prix d’affrontements d’intérêts et pour des résultats insuffisants.

Claude-Marie Vadrot  • 14 mai 2009 abonné·es

Douze ans après l’annonce du projet en 1997, le parc national des Calanques, dans la région de Marseille, a fait l’objet le 30 avril d’un arrêté du Premier ministre annonçant sa « prise en considération » par le gouvernement. Traduction : si tout se passe normalement, ce dixième parc national français pourrait exister en 2012. Mais les expériences récentes du parc national de Guyane et du parc national marin d’Iroise, à la pointe de la Bretagne, ont montré qu’il était de plus en plus difficile de concevoir et de définir le périmètre d’un parc national, espace qui reste pourtant la façon la plus efficace de protéger un ou plusieurs écosystèmes, qu’il s’agisse du paysage, de la maîtrise des aménagements ou de la biodiversité.

Instruments de la préservation de la biodiversité prévus par les lois de 1960 et de 2006, les parcs nationaux font l’objet de féroces négociations avec les élus locaux et nationaux, les offices de tourisme, les chasseurs, les agriculteurs et les promoteurs immobiliers. Au fur et à mesure que se précisent les contours et la charte d’un parc national, les impératifs écologiques s’effacent. Il suffit de regarder la forme de la plupart des zones centrales de parc (rigoureusement protégées) pour comprendre que leurs tracés biscornus sont le résultat a minima de consensus n’ayant pas grand-chose à voir avec la logique écologique. Cette religion du compromis bénéficie à tout le monde, sauf aux protecteurs de la nature et à la biodiversité ; elle n’est pas nouvelle, mais entraîne de plus en plus de demi-mesures depuis la création du premier parc national français, celui de la Vanoise, en 1963. Un siècle après le premier parc américain…
Face à toutes les majorités, de gauche ou de droite, les scientifiques et les naturalistes doivent plus que jamais négocier pied à pied, mètre après mètre, la dimension des espaces qu’ils veulent voir préserver pour maintenir la biodiversité et sauver des espèces, qu’elles soient emblématiques ou inconnues des politiques et de l’opinion.

Le projet de parc national des Calanques en est la dernière illustration. Depuis le lancement du projet par Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement, la superficie de ce qui devrait être le premier parc national terrestre et maritime français (donc les espaces marins et côtiers bénéficiant d’une protection forte) a régulièrement et patiemment été grignotée. Et tout en approuvant le projet fin 2008, la majorité UMP de Marseille a – déjà – voté un certain nombre de « réserves » sur les contours du futur parc. Alors que le massif des Calanques, aux portes de Marseille et inclus dans le parc, est déjà théoriquement protégé depuis 1976 sur 5 463 hectares. En mer, la plupart des élus locaux espèrent que certaines îles de l’espace maritime échapperont à la protection.
Les réserves naturelles nationales, celles créées en application de la loi sur la ­protection de la nature de 1976, font également de plus en plus souvent l’objet de discussions où les naturalistes tentent de ­mettre en avant leurs objectifs de protection contre des édiles locaux qui ne voient dans ces espaces préservés que des « attractions touristiques » que pourront vanter les syndicats d’initiative. Et comme ces réserves sont le plus souvent gérées, par délégation de mission de service public, par des associations, le ministère leur fournit de moins en moins de moyens financiers, les incitant au développement de ressources propres. Ce qui renvoie à l’exploitation touristique, alors que ce n’est pas vraiment leur fonction : le principe du parc national et de la réserve naturelle repose sur une liberté d’accès gratuit. La préservation de la biodiversité ne se construit donc plus depuis des années que comme un infime mitage du territoire auquel les espèces doivent s’adapter ou périr. Comme les ours, pour lesquels le législateur, sous la pression des lobbies politiques et touristiques, « oublia » d’inclure dans le parc national des Pyrénées la zone dans laquelle ils vivaient ; ou comme le grand tétras (coq de bruyère), dont des réserves tentent d’organiser la survie dans l’est de la France, mais que le législateur s’obstine à classer « espèce chassable » pour ne pas faire de peine aux fédérations de chasseurs.

Les parcs nationaux, les réserves naturelles, les espaces achetés par le Conservatoire du littoral dans la mesure des dotations de l’État ne visent qu’à protéger la nature « extraordinaire ». Reste la nature ordinaire, celle que les citoyens fréquentent le plus souvent. Une nature qui ne passionne personne et que le Grenelle de l’environnement a tenté de sortir de l’ombre en insistant sur la nécessité de créer des corridors biologiques, ce que les naturalistes appellent la trame verte. Pour que, circulant d’un espace plus ou moins bien protégé à ­l’autre, les chances de survie des espèces protégées ne soient pas aléatoires. Mais le Medef a refusé que les corridors biologiques soient opposables à des projets d’aménagement. Comme les réserves et les parcs, ils doivent faire l’objet d’un compromis. Ce qui réduit à bien peu de chose le discours officiel sur la biodiversité. Il porte sur quelques espaces exemplaires péniblement délimités, alors que la préservation des espèces doit concerner, c’est l’Europe qui le répète, l’ensemble d’un territoire national. Pas des confettis.

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