À l’heure du choix

Denis Sieffert  • 4 juin 2009 abonné·es

Au fil des ans, un usage s’est tacitement instauré au sein de notre équipe : à la veille des consultations électorales, l’éditorial se doit d’être un peu moins que d’habitude le privilège exclusif de son auteur. Plus encore que d’ordinaire, il doit tenir compte de nos différences et de nos débats. L’exercice n’est pas toujours facile car nous ne sommes surtout pas un cartel. Et nous ne voulons pas l’être. Nul n’est, au sein de notre équipe, le « représentant » d’un courant ou d’un parti. Et nous ne cherchons pas à obtenir de savants équilibres. Nul, d’ailleurs, n’a jamais été recruté pour cela. Bref, nous nous situons dans la bonne moyenne du doute et de l’engagement. Pourquoi le doute ? Parce que nous avons milité au travers de l’Appel de Politis pour la constitution d’un « pacte » rassemblant toutes les forces de la gauche antilibérale, et parce que l’une des étapes dans la réalisation de ce projet aurait pu, aurait dû, être la formation de listes unitaires pour ces élections du 7 juin. Or, il n’a échappé à personne que ce n’est pas le cas. Le constat mérite d’être nuancé dans certaines régions où il arrive que le Front de gauche se soit élargi à des Alternatifs et à des communistes unitaires. Notre aspiration à l’unité n’en a pas pour autant été comblée. Mais le doute a aussi des origines plus profondes. La gauche que nous aimons et en laquelle nous nous reconnaissons est traversée de clivages dont aucun ne nous correspond totalement.

Pour le dire autrement, nous pouvons être tout à fait d’accord avec le Front de gauche sur les questions économiques et sociales, et nous sentir plus proches de certains de nos amis écologistes sur des grandes questions de société ou des problèmes internationaux. Comme si, à nos yeux, chacun détenait un bout de vérité. D’où la nécessité que ces questions-là soient travaillées de façon transversale sur la durée, c’est-à-dire bien au-delà des échéances électorales. Et nous continuerons pour notre part à proposer des lieux et des cadres pour que ces débats se mènent. Sans anathèmes. C’est-à-dire notamment sans nous demander pendant vingt ans encore qui a voté « oui » et qui a voté « non » le 29 mai 2005. Ce qui ne signifie nullement que nous tenions pour secondaire le combat contre les traités européens qui imposent la « libre concurrence » et, de fait, la liquidation des services publics. Il reste selon nous primordial. Mais reformulons ces questions telles qu’elles se posent aujourd’hui et sans entretenir une relation éternellement acariâtre avec certains électeurs du « oui » de 2005 qui ne sont pas loin, en réalité, de penser comme nous. Ce doit être un sujet de débat, et certainement pas d’exclusion. Et, me direz-vous, le NPA dans tout cela ? Nous avons eu maintes fois l’occasion de dire où portait notre critique. Non sur l’analyse de la situation. Pas davantage sur la sévérité à l’encontre du Parti socialiste. Même pas sur la nécessité de créer quelque chose à gauche qui ne dépende plus – enfin ! – de la rue de Solférino, et qui ne se laisse plus piéger par la rhétorique du « vote utile ».

La critique porte sur la méthode. Ce pôle indépendant, il ne se décrétera pas par des conditions et des interdits. Il se construira dans une dynamique. Si l’on se réfère aux sondages, on voit bien que des listes unitaires NPA-Front de gauche, qui, dans ces conditions, auraient attiré des écologistes et convaincu de nombreux abstentionnistes, auraient talonné le PS. Un véritable séisme politique ! Il y aurait eu là quelque chose de fondateur qui aurait posé en des termes nouveaux l’échéance électorale suivante, celle des régionales. Une dynamique aurait été à l’œuvre. Au lieu de cela, cette division – qui n’est évidemment pas le seul fait du NPA – est bel et bien la principale cause de doute et donc d’abstention parmi nos proches, et même au sein de l’équipe de Politis … L’autre source d’abstention réside dans la construction européenne elle-même. Certains pensent que cette Europe est structurellement et définitivement libérale. Certes, les institutions européennes favorisent peu la démocratie. Et l’extension de l’espace européen sans condition nous a éloignés d’une véritable Europe politique et sociale (il n’y a guère que pour la Turquie que l’on fait soudain la fine bouche ! Et pour des raisons aussi évidentes qu’inavouables). Mais la couleur politique de nos députés ne peut nous laisser indifférents, même si nous savons que dans un premier temps leur pouvoir sera réduit. Nous appelons donc à voter. Et à voter pour une « Europe démocratique, écologique et sociale ». Au cours des dernières semaines, nous vous avons proposé des dossiers autour de ces trois adjectifs qui qualifient l’Europe que nous voulons.

Tout naturellement, à l’heure du choix, nous nous rapprochons des listes qui incarnent le mieux ces impératifs de démocratie, d’écologie et de justice sociale. Dans notre équipe, le Front de gauche et Europe écologie sont au coude à coude, le NPA est en retrait, mais bien présent. Et, au final, notre palette est un peu plus verte que rouge. Derrière cela, il y a l’envie de tirer des conclusions de la crise qui ne soient pas classiquement politiques : critique du productivisme – à laquelle, il faut le dire, le Front de gauche travaille –et fort intérêt pour l’idée de décroissance. Voilà ! On nous pardonnera cette semaine d’avoir un peu trop contemplé notre miroir. Mais nous y avons aperçu au-delà de notre propre reflet celui de nos lecteurs dans leur diversité. Avec leurs doutes, leurs frustrations et leurs espoirs. Oui, l’espoir. Car avec la naissance du Front de gauche, celle du NPA, et d’autres recompositions qui sont en gestation, la gauche bouge. Même l’arithmétique déformée de ces élections européennes devrait en rendre compte.

Retrouvez l’édito en vidéo en cliquant ici.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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