De quels droits ? / Hadopi : « le Conseil l’a tuer »

Christine Tréguier  • 18 juin 2009 abonné·es

Reprenant les principaux arguments des opposants à la loi Hadopi, le Conseil constitutionnel (CC) a statué et censuré la disposition clé du dispositif censé dissuader le téléchargement illégal. Les ayants droit pourront toujours repérer les internautes échangeant des fichiers et communiquer leurs adresses IP à la haute autorité Hadopi, laquelle leur enverra des messages d’avertissement. Mais sa tâche s’arrêtera là, car son pouvoir de suspendre l’accès Internet en cas de récidive a été jugé contraire à deux fondements de notre droit.
Prenant pour point de départ le droit à la libre communication des pensées et des opinions, défini par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les sages ont affirmé qu’ « en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ».

Impossible dès lors de confier à une autorité administrative – qui, précise le Conseil, n’est pas une juridiction – des pouvoirs (la restriction ou la suspension de l’abonnement) s’étendant à la totalité de la population, et pouvant conduire à « restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile » . Le CC s’aligne donc sur l’amendement 138 voté par le Parlement européen, soumettant au seul juge ce type de restriction d’un droit fondamental. Second principe bafoué par cette loi, celui de la présomption d’innocence. Le CC a estimé que l’obligation pour l’internaute accusé de piratage de prouver qu’un tiers aurait éventuellement utilisé frauduleusement son accès constitue un renversement de la charge de la preuve et une présomption de culpabilité incompatible avec notre code pénal.

Autant dire que la riposte graduée, imaginée par les ayants droit pour précisément éviter la lenteur des tribunaux et multiplier massivement les sanctions, a du plomb dans l’aile. D’autant plus que le CC a pris soin de préciser « l’utilité, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d’infractions dont l’autorité judiciaire sera saisie ». Comme l’écrit ironiquement Me Eolas sur son blog, « la machine à punir 10 000 pirates par jour devient la machine à s’assurer qu’on ne poursuive pas trop de pirates, emporté par l’enthousiasme au mépris de la charge de travail des tribunaux au budget insuffisant » . Mais le projet n’est pas enterré pour autant. Christine Albanel, avec l’art de la dénégation dont elle sait faire preuve, s’est félicitée que le Conseil ait validé le texte à 90 % ! Selon elle, rien n’est remis en cause, et l’Hadopi devrait voir le jour d’ici à la fin de l’année. Frédéric Lefevbre, lui, annonce déjà qu’il faut « un traitement spécifique, que ça n’aille pas avec une procédure normale devant les tribunaux » . Et pourquoi pas des tribunaux d’exception ?

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