Éducation : réapprendre à apprendre

L’École de la deuxième chance permet à des jeunes sortis du système scolaire de s’insérer dans la vie active. Il en existe une quarantaine en France, et le concept pourrait se généraliser. Reportage.

Mathilde Azerot  • 11 juin 2009 abonné·es
Éducation : réapprendre à apprendre
© **4700 jeunes** ont été accueillis dans les Écoles de la deuxième chance en 2008.

La réponse tarde à venir. La formatrice repose alors doucement la question : « Fanny et Angélique, qu’est-ce que vous avez choisi comme métiers ? » Voyant sa camarade hésiter, Angélique se lance : « Bah, dans le social… assistante sociale. » Silence. Pascale Péres, la formatrice se tourne alors vers Fanny, qui finit par ânonner : « Éducateur ? » Et Pascale Péres d’ajouter lesdites professions à la liste figurant sur le grand tableau blanc de la salle de cours. Treize métiers (vendeur, cariste, animateur, éducateur spécialisé, aide-soignant, plombier, styliste) choisis par treize stagiaires fréquentant l’École de la deuxième chance (e2c), située au cœur de la zone industrielle du Bois-de-l’Épine, reliant ­Ris-Orangis à Évry (Essonne). Tous sont âgés de 18 à 25 ans, tous ont été en situation d’échec scolaire, sortis du système sans diplôme ou exclus du marché du travail, et tous ont fait le choix de retourner sur les bancs d’une école particulière.

Le cours d’aujourd’hui est intitulé « projet professionnel » : les stagiaires doivent enquêter sur des métiers qui les attirent, effectuer des recherches sur le Net, téléphoner aux professionnels et les interroger sur leur quotidien, la nature de leur travail, les qualifications requises, les difficultés. « On s’est aperçus que certains ne savaient pas s’y prendre au téléphone et qu’ils n’étaient pas bien préparés aux entretiens, alors on a mis ce cours en place » , explique Pascale Péres.
Angélique, 20 ans, a un tempérament affirmé, mais, lorsque les questions se font personnelles, son discours devient décousu. Elle dit avoir découvert l’e2c au forum pour l’emploi d’Évry, ne détaille pas son parcours scolaire mais raconte qu’elle est passée par l’aide sociale à l’enfance, a vécu dans plusieurs régions, au gré des placements, avant d’être obligée de revenir là où elle est née. « Je veux travailler avec les enfants de maternelle, devenir Atsem (agent spécialisé des écoles maternelles), par exemple, confie-t-elle sans grande conviction. J’ai déjà de l’expérience, j’ai fait un stage dans l’association Après la classe en tant qu’animatrice. »

Créée en 2003, l’e2c de Ris a été la première structure du genre en Essonne, une seconde s’est ouverte en février non loin de là, sur le site du parc de Courtabeuf. Les deux écoles sont des structures loi 1901, indépendantes de l’Éducation nationale [^2]. Depuis sa création, l’e2c de Ris a accueilli 397 stagiaires, qui relèvent de la formation professionnelle et sont défrayés à ce titre de quelques centaines d’euros par mois. 85 % d’entre eux sont issus des quartiers prioritaires.
Installée au cœur de la zone industrielle du Bois-de-l’Épine, l’école ressemble de prime abord à n’importe quelle entreprise, avec 560 mètres ­carrés de surface, sa moquette bleue, ses open space , son mobilier de bureau, etc. La zone industrielle a été un choix doublement stratégique. « Notre démarche est celle de l’insertion professionnelle, rappelle Dominique Dujardin, le directeur des deux structures essonniennes. L’école s’est créée en partenariat avec les acteurs locaux et donc avec les entreprises. Nous ne sommes pas dans la religion du travail, mais dans la perspective que le jeune fasse son insertion via l’entreprise. » La réalité sociale a aussi été déterminante quant à la décision d’implanter l’école à distance des habitations. « On a choisi ce lieu pour éviter que l’école soit située dans un quartier particulier, explique Wally El Saedy, en charge de la coordination pédagogique. Ici, c’est une zone neutre, tout le monde peut venir. Si nous avions été dans un quartier distinct, à cause des rivalités, certaines personnes des autres quartiers n’auraient pas pu venir. »

Ce mercredi matin a lieu une réunion d’information pour les candidats désirant intégrer l’école à la prochaine rentrée. C’est Wally El Saedy qui les accueille dans la grande salle de réunion. Ils sont cinq, trois filles et deux garçons. D’une voix mesurée, presque lente, Wally entame sa présentation. « Vous êtes ici à l’École de la deuxième chance, qui n’a d’école que le nom, pose-t-il d’emblée. Nous n’avons pas de programme fixe pour tout le monde, ce qui veut dire qu’on ne fonctionne pas sur le mode de la réussite. C’est un centre de formation. Une formation individualisée. » Il décrit le déroulé de la formation, longue de dix mois avec en moyenne 700 heures à l’école et 700 heures en entreprise, sur le mode de l’alternance. « Nous avons fait le choix d’alterner école et entreprise pour qu’il soit possible d’essayer plusieurs métiers pour voir si cela vous convient, ou bien d’approfondir un même projet. » À l’e2c, ils bénéficieront d’une remise à niveau en culture générale, en maths et en français, mais étudieront aussi les raisonnements logiques, l’actualité.
Plus tard, Wally s’attarde sur les difficultés. « À l’école, il y a un programme pour tout le monde ; ici, il faut créer un programme pour chacun. Dans un groupe, il y a au moins trois niveaux, parfois quatre ou cinq. De plus, il s’agit d’un public fragilisé. » Tous les formateurs, rompus aux aléas du monde de l’insertion professionnelle (justifiant d’une expérience minimum de cinq ans dans le domaine pour être recrutés par l’e2c), s’accordent à dire que, malgré les difficultés, les résultats sont là. Près de 75 % des jeunes qui sont entrés à l’e2c Essonne en sont sortis avec en poche un contrat de travail stable ou l’intégration d’une formation qualifiante, donc reconnue.

À quelques kilomètres, installée au cœur de la plus grande zone industrielle économique de France (où mille entreprises ont élu domicile), l’e2c de Courtabeuf a ouvert ses portes en février dernier. La surface de l’école est la même, et la déco a quasiment été reproduite à l’identique. Pour l’heure, seules deux promotions y sont logées, l’une de 12 personnes et l’autre de 11. Cette semaine, tandis que la première est en entreprise, la deuxième fait sa rentrée. Les stagiaires sont en moyenne plus jeunes (surtout chez les garçons) qu’au Bois-de-l’Épine. Et plus indisciplinés. Les chahuts fusent en salle, des boulettes de papier volent, on ricane. Même si l’humeur est bon enfant, la formatrice élève la voix à plusieurs reprises. « C’est leur première semaine » , explique la formatrice d’anglais, Agnès Garcia, pour les excuser. Car même si l’e2c n’est pas une école classique, il faut réapprendre à rester sur une chaise une heure et demie (la durée d’un cours), à écouter les autres, à prendre des notes, à participer. Réapprendre à apprendre, en somme. Après l’anglais, place à la vie sociale et professionnelle. Françoise Bartos, responsable du cours, tient à élaborer avec les élèves le programme des six prochaines semaines. Ils énumèrent les points qu’ils aimeraient étudier : la santé (maladies, protection sociale), l’alimentation, le travail. « Et puis aussi discerner les limites de l’abus des patrons » , demande Lynda, 21 ans. « Les droits des salariés ? » , reformule Françoise Bartos. Lynda acquiesce. Ils se pencheront donc sur le code du travail.
Avant que le cours ne s’achève, la formatrice distribue des feutres et enjoint les stagiaires à dessiner une frise nommée « formation tout au long de la vie » pour qu’ils reproduisent leur parcours scolaire depuis la maternelle. Coumba, 24 ans demande discrètement : « Est-ce qu’il faut souligner ? Vous le ramassez après ? » Pour toute réponse, Françoise Bartos déclare à l’ensemble des stagiaires : « C’est vous qui allez le garder, faites quelque chose de joli. Il n’est pas terminé, ce parcours, ce n’est qu’un début. »
Et Coumba d’opiner.

[^2]: Elles sont soutenues et financées par le conseil régional d’Île-de-France, le conseil général, le Fonds social européen, la chambre de Commerce et de l’Industrie de l’Essonne et la chambre des métiers de l’artisanat, l’État, les communautés d’agglomération d’Europe Essonne, Évry-centre Essonne, Lacs-de-l’Essonne, Plateau de Saclay, Seine-Essonne, ainsi que la CAF.

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