Europe écologie : Que faire de la victoire ?

Le front écologiste a créé la surprise des européennes en talonnant les socialistes. Au-delà de l’urgence environnementale, il a su rassembler autour d’un programme économique et social. Les Verts doivent maintenant travailler à une recomposition à gauche.

Patrick Piro  • 11 juin 2009 abonné·es
Europe écologie : Que faire de la victoire ?

Les écologistes avaient-ils déjà connu une telle ivresse ? Personne pour s’en souvenir en tout cas. Balayé le vieux record des 10,59 % d’Antoine Waechter de 1989, autre époque.
À la Bellevilloise, le siège parisien de la soirée électorale, l’émotion a rebondi par paliers bien au-delà de minuit, à mesure que les estimations sorties des urnes, chaque fois plus flatteuses, délivraient leur bonus : le MoDem si loin, le PS si proche, un impensable 16,2 % de moyenne nationale. Et 14 députés élus ! « Mais c’est qui ?, compte et recompte Alain Lipietz, éberlué et enjoué. Ah, c’est Jean-Luc Bennahmias qui revient chez les Verts ! »

À 22 heures, Daniel Cohn-Bendit surgit enfin, saoulé de directs télévisés, acclamé comme jamais par un ­peuple écolo mélangé, où se distinguent de nombreux jeunes. « Premier objectif, au Parlement européen : forger une majorité qui refusera la reconduction de Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne ! »
Le chef d’orchestre de ce succès magistral, c’est lui. Et il en est convaincu : par le résultat d’Europe Écologie, au-delà de toute espérance, il a montré la voie aux écologistes français. « Nous avions un projet, une volonté et une stratégie. Aujourd’hui restera le D-Day de l’écologie politique… Pourvu que nous sachions prolonger cette dynamique ! Cette rencontre est comme une histoire d’amour : après l’éblouissement initial, il faut imaginer la suite. »

Dans les semaines qui suivent, les analyses et les bilans iront bon train chez les écologistes pour dégager les ingrédients essentiels d’une recette historique. Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, les décline sur un autre registre que Daniel Cohn-Bendit : confiance, cohérence, diversité.
Les craintes les plus importantes concernaient la disparité du front que ce dernier avait souhaité constituer, « de Bové à Hulot ». Hulot n’est pas venu, mais Antoine Waechter a fait un bref bout de chemin, et Corinne Lepage fut pressentie, avant de rejoindre le MoDem. Dont le président, François Bayrou, avait approché la juge Eva Joly, colistière de Cohn-Bendit en Île-de-France.
La cohésion est pourtant venue, et par là où les sceptiques s’y attendaient le moins : le programme. Les premières moutures insistaient fortement sur l’urgence écologique, laissant craindre une campagne de communication exploitant essentiellement le « casting » flatteur des têtes de liste – Verts, personnalités, associatifs. Puis le programme s’est structuré pour se muer en une orientation politique, fondée sur la « conversion écologique de l’économie » et dotée d’engagements pour un « bouclier social » européen : pour une clause de « non-régression sociale » , vers un revenu minimum d’existence et un revenu maximum, pour un moratoire sur toute nouvelle libéralisation. « C’est une avancée programmatique, constate Patrick Farbiaz, l’une des chevilles ouvrières de la campagne. Nous avons progressé par le social, et la diversité n’aura pas été un affadissement. » Un moment redouté, le clivage entre les partisans du « non » et du « oui » au traité européen de 2005 a été dépassé « grâce à un vrai travail sur le fond » , juge Jean-Vincent Placé, membre du collège exécutif du parti écologiste. Des Verts ont également joué le jeu sans fausse note, établissant des liens de confiance avec leurs partenaires, reconnaît José Bové : « Les vieilles manières de faire de la politique, c’est terminé. »

Après des années passées à engranger des résultats électoraux sans rapport avec la montée de la conscience environnementale dans l’opinion, les écologistes sont enfin apparus comme un mouvement adulte. Principaux héritiers de ce succès inespéré : les Verts, qui se trouvent désormais au défi de le faire fructifier.
En interne, d’abord. « Il n’y a plus de place pour un repli sur soi » , prévient Yannick Jadot, ex-directeur des campagnes à Greenpeace. Cécile Duflot tient à rassurer : « Le mouvement d’ouverture est profondément engagé ; il a vocation à aller beaucoup plus loin, et à s’appuyer notamment sur les 13 000 personnes qui ont adhéré au réseau lancé par Europe Écologie. »
Le renforcement, priorité des priorités. Mais la méthode reste à inventer. Les écologistes ont cependant déjà pris date pour une « convention de l’écologie politique », qui se tiendrait en octobre prochain.
Et plus rapidement qu’ils ne l’auraient souhaité, les Verts devront s’atteler à des travaux pratiques : les élections régionales de 2010. « Nous allons essayer de reproduire la formule des européennes » , avance Jean-Vincent Placé. Avec, par exemple, le lancement de listes Auvergne-écologie, Bretagne-écologie, etc.

Le scrutin pose aussi la délicate question des alliances politiques locales. Une certitude émergeait déjà, ce 7 juin : la voie, pour les écologistes, sera d’abord l’autonomie, doublement justifiée par leur succès électoral et la déconfiture du PS ; mais aussi, « dans le respect des autres et en se faisant respecter » , la main tendue à d’autres partis, propose Daniel Cohn-Bendit.
Lesquels ? Si le héros de la soirée renchérit comme il le fait depuis des mois sur le thème « des différences à accepter » , c’est explicitement à la gauche et à l’extrême gauche qu’il s’est adressé le 7 juin – une nouveauté. « Reprenons à notre compte une partie de l’histoire du mouvement ouvrier et de la gauche historique, mais il faut aller au-delà et lâcher le productivisme. » Une manière d’enterrer sans délai l’option « MoDem », rendue caduque après le sabordage opéré par son propre président.
Forte de son statut tout neuf de troisième force politique du pays – au moins jusqu’au prochain scrutin –, l’écologie politique se sent désormais appelée à jouer un rôle central dans une recomposition à gauche.

Pour aller plus loin…