Flâner au bal

Dans « Ce cher mois d’août », Miguel Gomes montre la vie de villages portugais en été, traversés par des orchestres amateurs.

Christophe Kantcheff  • 18 juin 2009 abonné·es

Premières images : un renard va et vient devant un poulailler. Quand il approche, les poules reculent, mais il repart. Et puis soudain, à la surprise des poules… et des spectateurs, qui n’ont pas perçu qu’aucune grille ne lui en bloquait l’accès, le renard se lance dans le poulailler. Fin de la séquence. Sans y voir une métaphore de Ce cher mois d’août , il est incontestable que le cinéaste, Miguel Gomes (qui n’est pas pour autant un prédateur), a instauré un mode de récit qui prend son temps avant d’entrer dans le vif du sujet. Le sujet ? Comme le précise le dossier de presse, « si le réalisateur et l’équipe du film étaient allés droit au but […], l e synopsis se réduirait à : Ce cher mois d’août s uit les relations sentimentales entre le père, la fille et son cousin, musiciens d’un groupe de musique de bal ».

Ce cher mois d’août, qui s’étend sur 2 h 30, avance donc à l’allure flâneuse d’un film d’été au cœur du Portugal quasi exempt de touristes. Il s’attarde sur les multiples histoires de ces villages de montagne et de ses habitants. Le documentaire se fait doucement fiction : si les comédiens, non professionnels, sont du cru, certains jouent plusieurs personnages, et l’amour naissant entre la fille et son cousin, réprouvé par le père vaguement incestueux, se met effectivement peu à peu en place.
Mais le cinéaste, en racontant aussi le film en train de se faire, avec la venue d’un producteur qui se désole que le scénario initial ne soit pas respecté, montre sa distance ironique avec les codes narratifs. Il attire ainsi l’attention ailleurs. Par exemple, dans la manière dont Ce cher mois d’août travaille, avec une profonde affection, les figures du populaire.

Celles, en particulier, qui tournent autour des rites de village, que le film montre presque dans un esprit à la Jean Rouch : moments de parole exutoire, marques d’archaïsme dans un monde que l’on croit pourtant entièrement recouvert par la modernité mondialisée. Miguel Gomes met aussi en valeur ce qui habituellement est tenu pour mineur, voire pittoresque : la musique de bal. Il montre les orchestres amateurs passant de village en village, jouant dans leur intégralité ces chansons de variété où il est question d’amour-toujours ou de mourir-d’aimer. Le regard que pose Miguel Gomes sur ces orchestres est là dénué d’ironie ou de condescendance. On y sent au contraire de la tendresse et du plaisir de filmer. Ainsi, Ce cher mois d’août, témoignant pour lui-même d’une grande liberté esthétique, prend au sérieux, comme rarement au cinéma, un mode d’expression artistique extrêmement conventionnel. Un paradoxe intéressant.

Culture
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