Le bain des pauvres

Dans « Nina, c’est autre chose », Michel Vinaver saisit le quotidien de deux frères, bousculé par l’arrivée d’une lumineuse jeune femme.

Gilles Costaz  • 18 juin 2009 abonné·es

Alain Françon, qui sera remplacé la saison prochaine à la direction du théâtre de la Colline par Stéphane Braunschweig, termine son mandat en laissant les deux salles à deux équipes indépendantes. Passons sur ce qui se donne dans la grande salle ( Laissez-moi seule de Bruno Bayen, qui illustre tristement l’art de ne pas trouver le bon deuxième degré). Entrons plutôt dans la petite salle, où se joue Nina, c’est autre chose de Michel Vinaver dans une mise en scène de Guillaume Lévêque. Cette pièce, souvent jouée par les petites troupes, ne se situe pas dans les grands massifs de l’auteur, qui a surtout montré et démonté le mécanisme des grandes entreprises.

Pas de concentration de sociétés anonymes ici, pas non plus de machinerie politique à l’œuvre. Juste quelques instants passés dans la vie de quelques personnes. Mais, sur un ton plus quotidien, c’est le même Vinaver qui parle, celui qui sait que l’appareil économique propulse et écrase les humains dans un même mouvement.
Voilà deux frères dans un petit appartement, réduits à leur fraternité, puisque leur mère vient de mourir. L’un est ouvrier, l’autre garçon-­coiffeur. Ils vivent petitement et ils cuiraient longtemps dans leur jus si Nina n’arrivait dans leur vie à tous les deux. Nina est shampouineuse, et pas corsetée dans la morale. Elle n’est pas vraiment amoureuse de l’un ou de l’autre, elle les aime d’amitié, et un peu plus, tous les deux, sans s’attacher beaucoup. Elle leur prête un peu de sa jeunesse, de sa beauté, de son indépendance.

Et, d’abord, elle introduit une baignoire et plonge tout le monde dans cet ustensile jusqu’alors inusité dans ce foyer ! C’est la grande scène de la pièce, lorsque les deux garçons acceptent à contrecœur de se déshabiller pour se laver avec cette belle impudique. Rien de choquant ou de racoleur dans l’écriture de Vinaver en ce beau moment. Ce sont des années de pauvreté et d’étroitesse qu’on décrasse alors ! Ensuite viendra le chômage, qui va frapper les uns et les autres. Ils chercheront du travail. Elle partira…

Le style de Vinaver est à la fois très simple et très compliqué. Comme dans nos conversations, les répliques ne se répondent pas ou rebondissent à retardement. Des remarques surviennent sans cesse, en porte-à-faux, en additions imprévues. Guillaume Lévêque, jeune artiste dont les précédentes mises en scène un peu tâtonnantes préparaient la sûreté de ce spectacle-là, maîtrise la coulée complexe de ce langage et l’avancée de cette action en paliers. La pièce se déroule dans un espace de Claire Sternberg qui juxtapose habilement l’intérieur et l’extérieur. Cela rythme une courte soirée où les personnages bougent toujours, comme à la découverte d’eux-mêmes. Luc-Antoine Diquéro interprète le frère ouvrier dans une remarquable présence massive, nerveuse et mobile. Régis Royer, le coiffeur, joue à l’opposé, et fort bien, un faux détachement, une façon d’être plus légère et plus noyée dans des brumes intérieures. Linda Bréban est une Nina directe, joyeuse et lumineuse. De la vie comme saisie à distance, dans le miracle d’un vrai langage théâtral.

Culture
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